“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

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Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

mercredi 26 mai 2010

Bear in Heaven - Beast Rest Forth Mouth (2009)


Bear in Heaven est un groupe New-Yorkais constitué de Jon Philpot (chant, guitare et claviers), Joe Stickney (batterie), Adam Wills (guitare et basse) et Sadek Bazaraa (basse et claviers). Ils ont attendu cinq ans avant de sortir leur premier disque, Red Bloom of the Boom (2007) – à la recherche d’un son qui leur appartiendrait. Utiliser deux claviers avait toutes les chances de les isoler de la sphère rock conventionelle, et ça n'a pas raté. Il revendiquent entre autres Talk Talk (tout comme l’excellent Shearwater) comme influence ; ce qui les place directement dans la catégorie de ces musicens qui entretiennent une fascination pour ce que la pop devient quand on se met à en chercher des échappatoires, des aboutissants plus forts et intenses que les structures habituelles.

Beast in Peace, le premier morceau, évoque une procession ; une marche en rangs serrés. Un premier mouvement, étouffé, lourd, pour un disque qui décolle lentement, avec, déjà, un brin de mysticisme. Bear in Heaven construit apparement des morceaux plutôt courts, ramassés, et agencés autour de leurs refrains en escalade – mais ils se préférent spacieux que séduisants ; conjurant une angoisse quasi invisible et la clarté de ceux qui voient loin et qui, malgré tout leurs accès de pessimisme, au niveau des paroles – les titres sont assez révélateurs de cette tendance : Lovesick Teenagers, Dust Cloud, Deafening Love, Wholehearted Mess – continuent de croire au pouvoir de la musique sur le corps, son pouvoir de réparation. Beast Rest Forth Mouth est un disque tournoyant, qui croit toujours en l’amélioration des lendemains. C’est le travail de plusieurs directions (penser East West North South, car il s’agit bien d’un jeu de mots), qui s’entrecroisent en évitant tout chaos. Les éléments de façade sont organisés, d’une manière comparable à celle effectuée sur le premier MGMT, où s’oppérait une dichotomie particulière entre textes pleins de relief et musique millimétrée.

Un premier mouvement s’achève en appotéose avec Ultimate Satisfaction. You Do You, Lovesick Teenagers et ...Satisfaction font un trio particulièrement solide d’hymnes légèrement décadents, vaguement emportés d’un côté et de l’autre d’un mat central plutôt rigide. Dust Cloud ouvre sur un léger malaise, et l’on pense au morceau Tilt de Scott Walker où la guitare avait le même genre de réverbération hors ton. Cependant, le titre prend son envol et devient passionnant grâce à une poignée de trouvailles. Dust Cloud est le point charnière du disque ; le groupe y assume le fait de privilégier les atmosphères, de se baser sur des idées peu concrètes et pas très rock (l’incantation répétitive ici, le rythme trop régulier du premier titre, des tempos lents et métronomiques souvent) - avant de s’échapper, de manière complètement consciente, vers des horizons aussi mornes qu’ils sont magiques. Drug a Wheel reprend l’idée de procession proposée sur Beast in Peace. Cette fois, la séquence un peu sauvage est l’occasion d’un final d’une seule nappe de synthétiseur. Sans cesse, il semble que le groupe cherche à créer de l’espace, comme si sa plus grande crainte était de se retrouver soudain confinés, de manquer d’air. Casual Goodbye, le dernier titre, se termine d’ailleurs sur une respiration.

L’aspect le plus intéressant de Bear in Heaven est leur côté primal, qui, sans jamais prendre complètement le dessus, influe beaucoup sur leur son. Il y a dans leur démarche une sorte d’isolement impalpable un peu similaire à celui que l’on trouve les disques de Tv on The Radio. Malgré l’appel que provoque la plupart de leurs mélodies, c’est un groupe suffisament cérébral pour exister dans une sphère à lui seul ; ils sont d’ailleurs souvent considérés comme expérimentaux. Et, du point de vue strictement musical, un amalgame de synthés fascinant, et une chance rare d’apprécier cet instrument souvent mal exploité. Philpot et Bazaraa préférent n’utiliser que très peu de sonorités différentes, créant une pallette personnelle et une sorte de focus. En ce sens, ce disque est le triomphe de quatre esprits aux influences tellement variées - de l'aveu de Philpot -  qui sont parvenus à trouver le point de ralliement, solidement ancrés autour de ces sonorités de clavier régénérantes. C’est comme si la douleur éprouvée à chasser l’indécision causée par tant de voix différentes et également séduisantes les unes que les autres, était effacée par le simple fait d’interpréter Ultimate Satisfaction.

  • Parution : 2009
  • Label : Hometapes
  • Genre : Synth-pop, Rock alternatif
  • Pochette : Laura Brothers
  • A écouter : You Do You, Lovesick Teenagers, Ultimate Satisfaction

  • 7/10
  • Qualités : lucide

mardi 25 mai 2010

Kraftwerk - Live



« J’ai payé 40 dollars pour voir quatre hommes aux cheveux gris et en costume de travail planqués derrière leurs ordinateurs pendant une heure et demie. Et je n’étais pas seul. » En fait, précise Rob Horning sur Popmatters, la salle était même pleine en ce 30 mai 2005, alors que Kraftwerk entamait une tournée aux Etats-Unis, ce qu’il n’avaient pas fait depuis longtemps. « Le club était grouillant de fans (surtout des hommes, surtout entre deux âges) aussi enthousiastes que n’importe quelle foule déjà vue à un concert de rock. Sauf qu’il n’y avait pas de rock. Il n’y avait pas d’instruments. A l’évidence ces hommes faisaient de la musique, mais rien dans leur manière d’agir ne suggérait cela, à part dans les rares occasions où celui qui avait le micro chantait quelques mots”, continue t-il.

Oui, voir Kraftwerk peut s’avérer être une expérience aussi étrange, voire frustrante qu’excitante. Mais s’en tenir aux apparences avec Kraftwerk, c’est comme croire que la Coccinelle dont ils illustrèrent la pochette de leur fameux Autobahn n’était qu’une voiture. Décidément assez observateur, le journaliste de Popmatters continue : « Bien que beaucoup des compositions de Kraftwerk ressemblent à de la vulgaire dance music, personne ne dansait. La « musique » s’échappant des hauts parleurs était moins de la dance music que des pulsions tranquillisantes qui imitaient le son des machines qui permettent au monde moderne de fonctionner : ordinateurs, trains, voitures, chronomètres. J’ai passé le plus gros de mon temps à essayer de comprendre ce que je faisais ici. »

Rob Horning donne les clefs qui ouvrent une réflexion sur l’utilité de la musique de Kraftwerk ; car, comme un service manufacturé rendu à notre société sans cesse en mouvement, leur musique est utile – elle n’a pas comme seule vocation de provoquer une émotion ou une identification. Elle n’est pas finalement, le simple résultat de leur volonté, à savoir faire de l’art un produit de consommation comme les autres. Elle est aussi le fruit d’une pensée qui, en 2005, a trente-cinq ans et a employé des moyens d’expression sonores assez variés, s’est renouvelée, remodelée, discrètement liftée comme pour continuer de mériter son statut iconique. Horning n’omet pas de se faire la réflexion, malgré l’étrangeté du spectacle auquel il a assister, que « dans un sens, voir Kraftwerk c’est comme voir James Brown ou les Ramones ou le Sugar Hill Gang ». La différence sensible étant que dans le cas de Kraftwerk, la partie était deux fois plus difficile ; il s’agissait non seulement de définir un mouvement, mais en plus de produire dans le genre visionnaire – et ce qui était visionnaire en 1977, sous de nombreux aspects ne l’est plus en 2010. Amusant ou pas, le groupe allemand continue de sonner aujourd’hui, comme en 1977, comme une vision du 21ème millénaire. C’est la différence entre les archétypes figés et ceux qui, à la fois marginaux et centraux dans l’histoire de la musique pop, sont en perpétuel mouvement.

Non seulement la manière dont ils ont inspiré toute un genre de musique – la pop électronique – mais aussi le mystère, et la rareté des apparitions font de Kraftwerk, à juste titre, un mythe populaire. Entendre par là une expérience artistique parfaitement aboutie. Et inamovible de surcroît ; car contrairement à beaucoup d’œuvres artistiques, la musique du groupe ne vieillit pas. Elle a pu porter dans ces versions originales – d’avant les remasters de l’an dernier – les stigmates de son temps, mais si l’on regarde bien, Autobahn, en 1974, était quasiment dépourvu de ce genre de sons qui ont tendance à faire sourire – et même le titre The Robots dégageait tant de non-vie, de mystères et de silences, entre des trames qui paraissent aujourd’hui bien cheap, qu’il ne prête à sourire qu’au second degré. Pas par moquerie, mais pour ce qu’un tel morceau symbolise et dégage. Un drôle d’affront à un futur qu’il vaut mieux ne pas pleinement imaginer, une mise en garde déguisée d’un costume pittoresque.

En live, The Robots est interprété par des mannequins à l’effigie des membres du groupe. Kraftwerk fait semblant d’abandonner sa musique à des mains mécaniques, dans une sorte de parabole à toute leur démarche – jouer au travers des machines. Pourtant, rare est la musique qui est contrôlée et réfléchie à ce point par ses créateurs. Dans le rock, le travail de finition est souvent effectué par le producteur du disque, une fois que les musiciens ont fait leur boulot, c'est-à-dire joué leurs parties. Kraftwerk avaient cette démarche intelligente de considérer le studio comme un instrument à part entière, de s’exprimer à travers lui, et d’engendrer à la manière d’une fécondation in-vitro, présents par le biais de leur « instrument » dans chaque constituant de leur son. Et personne n’a sans doute mieux le sens de la finition qu’eux ; personne dans la sphère du rock n’est aussi peu craintif de la perfection, de la neutralité – quelques pirouettes les en écartent. The Model, l’une de leurs chansons les plus célèbres, était particulièrement froide, efficace et implacable – parce qu’elle illustrait la nécessité à ce que, par ailleurs, la perfection ne soit jamais un facteur de création. Alors que d’autres utilisent le déséquilibre et les facteurs aléatoires pour donner du crédit à leur musique, Kraftwerk a tout réglé depuis longtemps, et le groupe reproduit désormais une partition qui a le mérite d’être parmi les plus importantes de la musique pop.

A gauche, Hutter : “l’homme au micro” qui énonce les mots cruciaux de la musique Kraftwerk. C’est le seul membre d’origine d’un quatuor constitué aujourd'hui de trois ouvriers musiciens et d’un chargé de la coordination  des visuels qui apparaissent simultanément à l’arrière scène. Au moins, si le groupe reste campé, quasiment immobile – Hutter s’agite un peu, un vague sourire aux lèvres – il a le panache de tout reconstituer face à son public, parfois les yeux dans les yeux. Il y a moins de distance entre eux et le public qu’on ne pourrait le croire ; ils adressent volontiers des regards amusés à la foule compacte, savent bien où se trouve la dérision de ce qu’ils partagent, où doit se trouver la distance, l’application, la précision – dans la volonté de fournir une expérience en tous points parfaite – mais à l’inverse comment pointer tout l’humour dans leur création. Humour largement fondé sur le sarcasme, la réflexion après coup.

Leur apparence est soignée, élégante et discrète. Ils ne sont pas en représentation, où s’ils le sont, c’est de manière particulière ; ils incarnent une vision et font autorité, sans chercher à occuper tous l’espace comme tous ces groupes hiérarchisés dans lequel chacun joue un rôle plus forcé que l’autre, ces groupes où il y en a toujours un pour jouer le trublion et donner au public l’envie d’aller le voir se pavaner ou se ridiculiser en live. Alors, certes, Hutter ne prend pas de risques démesurés, il campe une position confortable. Kraftwerk est un groupe économe, l’a toujours été – de mouvements, de notes, d’idées, préférant articuler leur vision autour d’un seul nouveau mouvement à chaque fois. Et cela suffit pour que chacun se pose ses propres questions. Computer World n’est t-il pas l’un des meilleurs concepts albums de tous les temps ? « Ils restent là et projettent leur aura, le mythe qu’ils ont manufacturé pour eux-mêmes, comme prophètes de la synthèse future de l’homme et de la machine, quand la technologie que l’homme crée pour contrôler la nature commence soudain au contraire à le digérer, révélant tous les rythmes comme étant des rythmes naturels et toute mécanique comme aillant une pureté organique et une harmonie dans sa conception. » Le live est pour Kraftwerk un acte de partage, de dématérialisation, d’imprégnation ; quatre musiciens immobiles qui agissent comme quatre bornes dont émanent les fameuses mélodies qui ont façonné Trans-Europe Express, The Man Machine ou Computer World.

L’une des armes majeures de Kraftwerk en concert, ce sont les visuels qui accompagnent les morceaux. Ce sont des images de trains garés, d’hommes pédalant, d’autoroutes vides – là l’obsession de Kraftwerk pour le mouvement contrarie ceux qui les voient comme des pontes de l’immobilisme voire de dangereux soporifiques – lumières néons, défilés de mannequins, flots de chiffres qui défilent et villes dessinées en vecteurs, ainsi que des formes plus abstraites qui évoquent Mondrian. Généralement, l’illustration est utilisée de manière à souligner leurs titres phares, Autobahn (autoroute), Trans-Europe Express ou Radio-Activity, sur fond jaune et signe de radioactivité énorme et lumineux, presque indécent. Kraftwerk utilise aussi la 3D, procédé en passe d’être suranné après qu’Hollywood ait fait main basse dessus. Dans le cas de ces concerts, le port des lunettes est plutôt à voir comme une forme de résignation. A partir de là, nous nous laissons enfin aller à l’illusion que le technologie frappe de plein fouet, et les slogans comme « music non stop » ou « entertainment » ressemblent aux connotations à un monde plongé dans le bruit et dans l’image vulgaire – ces sons et de ces images qui sont là, partout ailleurs dans la ville. La prochaine étape de l’interactivité serait carrément de donner une commande à chaque membre du public, de les faire asseoir devant un panneau de contrôle et de leur demander de presser des boutons, dans un certain ordre, pour produire toute sorte d’effets pince-sans-rire ou vraiment drôles.

Et leur environnement : ils jouent maintenant dans tous types de salles, des théâtres, des hangars ; dans les centre-ville, dans les banlieues. Ils s’adaptent aux configurations, aux constructions d’un monde qu’ils mystifient.

Bertrand

lundi 24 mai 2010

Christina Antipa - The Royal We (2010)


Parution : 2010
Label : Bicycle Records, voir aussi Waterhouse Records
Genre : Folk
A écouter : Beautiful Place, Doctor of Love, Here's Your Ghost
7/10
Qualités : soigné, attachant, doux-amer

“fly away, fly away, love is like a swallow, here today, here today, and gone again tomorrow” C’est avec ces mots que démarre The Royal We. Une simplicité et une beauté qui rivalise avec le bruit d’une nature qui revit, la respiration d’un bosquet d’arbres et la caresse des ailes d’un oiseau migrateur. Ce disque est une valse sensuelle des esprits et des corps en proie à la solitude et au désir, de figures imaginées pour soigner les maux, apaiser les humeurs, susciter l’amitié. C’est une déclaration sensible qui vient d’une personne respectueuse – et une déclaration respectueuse qui vient d’une personne sensible, du fait que tous les élements qui composent The Royal We semblent fonctionner quelque soit le sens dans lequel on les manipule. Un disque translucide, qu’on n’a pas besoin de secouer beaucoup pour en dégager l’émotion vive. 

Il a fallu un an pour enregistrer ce disque – et c’est un très net pas en avant pour Christina Antipa, dont le précédent opus, Everything Starts to Sing (2009), n’avait cure de proposer des titres enregistrés sans production, avec une spontanéité merveilleuse, comme une célébration de l’instant. Le pouvoir mélodique du folk d’Antipa n’était alors pas complètement développé, le disque avançait davantage par vignettes stylistiques malgré quelques plages plus insistantes et libres. La dernière étrangeté de production sur The Royal We, peut-être, est cette résonnance dans la voix d’Antipa, qui trahit le fait qu’il ait été enregistré « dans un sous-sol à Seattle ». 

Avec une musique comme celle-ci, c’est l’occasion de soi-même se questionner sur sa propre envie d’expression, c’est une ode contagieuse, une incitation à se dématérialiser, à devenir un élément du disque, à le supporter, le partager.



Ce disque est à saisir comme un ensemble cohérent dont les différentes pièces ont été agencées avec soin, dont la touche finale a été apportée, pour la première fois peut-être chez Antipa. Mais plutôt qu’un aboutissement de dix ans de carrière et de concerts confidentiels, c’est un expérience un peu différente de ce à quoi elle était habituée, une sorte de défi brillamment relevé – pourchassant une ancienne naïveté par la beauté, la clarté, la richesse. Et, occasionellement, des réflexions plus noires qui semblent échappées de quelque ancien poème Baudelérien. 

La palette musicale comprend le haubois qu’Antipa joue depuis petite – et qui fait des merveilles sur Doctor of Love - des claviers, une guitare en pedal-steel qui accentue la caresse ressentie sur Beautiful Place, un hymne à la californie doublé de l’évocation d’un amour éloigné. « Can you feel my heart hanging around you like a ghost » L’amour est tendresse, torpeur, attente. “Cocooned in a room of pillows, he only wants to sleep forever”. Sept musiciens participent dont F. Jakle Fiolek III avec qui Antipa a l’habitude de travailler. Cette nouvelle luxuriance musicale, qui ajoute au plaisir d'écoute et au charme fou et fragile de l'ensemble, l’a décidée à ne plus s’appeler seulement par son nom ; dans l’avenir, ce sera Songs for Animals. Plus étonnante est l'utilisation fréquente d'une boîte à ryhtmes - centrale sur Legless Souls, belle construction de six minutes, ou sur la reprise de Sting, I Hung My Head.

C’est comme si, dans ce monde qui cherche désespérément à tout concrétiser, à tout rendre parfaitement lisible, vouloir s’échapper revient à se transformer en fantôme, à se considérer comme tel, à l’égal de nos pensées et de nos sentiments. Et le fruit de notre quotidien, les histoires qui nous réchauffent le cœur, ce n’est jamais mieux consigné qu’à travers la musique. Plutôt que dans un journal fermé à tous, au fond de son tiroir, un disque comme celui-ci c’est l’occasion de partager ces histoires avec autrui, avec tous ceux qui veulent s’échapper à leur tour, même s’ils n’en sont conscients. Avec une musique comme celle-ci, c’est l’occasion de soi-même se questionner sur sa propre envie d’expression, c’est une ode contagieuse, une incitation à se dématérialiser, à devenir un élément du disque, à le supporter, le partager. 

Une chanson vivante puise sa source dans les situations courantes, les détails et les anecdotes, et Antipa fait cela, fait coincider les expériences les plus concrètes avec des libertés - la distance, l’évasion. « You used to be an athlete in your younger days, you used to be an athlete till you lost your legs » “I can see it very clearly now, the cancer that needs to come out”. Même en se réfugiant dans les lumières, en pensant devenir fantôme on n’échappe pas aux réalités ; notre corps reçoit, autant qu’il rejette les stupéfiantes agressions et désordres du monde extérieur comme il s’impreigne de ses manifestations de beauté. 

dimanche 23 mai 2010

Crystal Castles - Crystal Castles II

Dès Fainting Spells, on a l’inpression d’assister à une déconstruction de tout ce que la musique populiste fait de dégoûtant ; une sorte de gimmick à la Lady Gaga cotoie des bribes de voix et des bruits de sirènes assemblés au lance-pierre, dans une sorte de chaos complaisant. Heureusement, ça ne dure pas bien longtemps. Ensuite, de titre en titre, la curiosité s’amplifie sans que l’agacement ne disparaisse jamais complètement – et tandis qu’on navigue entre possibles hits répétitifs mais spontanés amenés par des syntthétiseurs et tentatives d’agression auditive (à l’image de Doe Deer) qui mettent en évidence le refus pour le duo Torontois d’assumer un quelconque statut mainstream. La pochette, seule, devrait refroidir un peu les ardeurs ; et pour quiconque sait encore apprécier un disque dans le bon ordre, c’est là que tout commence. 

Le duo, formé en 2003 de Ethyan Kath et Alice Glass, en est à son second album éponyme ; et, au bout d’accusations de plagiat et de concerts annulés au dernier moment, il semblait peu probable que leurs expériences aléatoires et leurs talents questionnables rencontrent un jour un succès d’estime. Pourtant, c’est arrivé avec ce nouveau disque ; c’est comme s’il aténuait un peu l’opacité en faisant preuve de compassion - ce qui est peut-être une concession pour eux. Leur us et abus d‘échantillons sur lesquels ils n’ont parfois eu aucun droit, leur insistance à ne nommer leur disque que de cet étrange patronyme repris à un jeu vidéo en fait des sortes de nouveaux punks, méprisant le droit d’auteur et revendiquant un recyclage grossier – mais il soulèvent encore là une réflexion. 

Ils apparaissent comme les ferrailleurs qui se servent dans le dépotoir du divertissement de masse et parviennent finalement, par un assemblage de caractère, à leur propre son. L’aspect le moins innocent et le plus évident de cette quête d’originalité est le traitement des vocalises enflammées et souvent inintelligibles de Glass, filtrés au travers de machines peut engageantes, de manière systématique. Il n’est même pas évident que ce soit pour le duo l’occasion de recherches sonores ; mais que ce son soit le résultat d’une finalité, l’envie d’en finir pour de bon avec le reste du spectre musical, en se murrant dans un endroit peu contraignant pour eux et stimulant pour nous. Crystal Castles II est aussi un exercice d’instinct ou de hasard : il y a de nouvelles sonorités à chaque minute, et on s’accoutume vite à ne plus se questionner sur des problèmes de pertinence ; Kath et Glass s’en soucient bien peu. 

Plus loin, Baptism crève l’écran, se faisant quasiment fédérateur, harangueur, et fondé sur quatre accords notes et un solo de calculette. Des moments similaires ne vont pas manquer de réaparaître tout au long du disque. On suppose que le couple se fait plaisir, la plupart du temps, propulsant dès les premières secondes l’ambiance à une intensité bizarre s’il l’on continue de croire qu’il s’agit de pop. Les sons et textures qui nous sont jetés à la face suggèrent l’excitation du live, l’atmosphère bouillante de l’arène, où les couplets sont douloureux – on a bien droit à quelques numéros de masochisme – et les refrains sans arrière-pensée. C’est l’entrechoquement d’un jeu bancal, où rien n’est finalement parfait, où même les présumés hymnes ne tiennent que sur trois pattes, qui fait la dynamique de Crystal Castles. C’est dans la confrontation de sonorités hideuses ou milles fois entendues, que se trouve leur pouvoir de progression vers des sphères où ils deviennent des artistes originaux. Ironie du sort, plusieurs titres feraient de bons passages radio… On pense à Suffocation, Not in Love

Crystal Castles II apporte une réfléxion intéressante sur ce qui constitue la musique vulgaire, prenant soin de toujours dévier les clichés, mais sans complètement échapper à la facilité. La voix de Alice Glass, souvant remodelée, déformée, déraillée, déchaînée, - comme une caricature des chanteuses exaltées et sexualisées à outrance dans la pop-music, une lolita perversifiée par une voix de robot - apporte le pendant extra-lucide et tranchant à un groupe dont la musicalité se limite par ailleurs clairement à laisser pourrir une plage mélodique pendant quatre minutes et en l’agrémentant (?) de bruits parasites. Les parasites, ce sont sans doute tous ces prétendus musiciens qui envahissent les télévisions et radios, vendant leur corps désoeuvré et se servant de la « musique » pour gagner un minimum de crédit – mais, qu’on se le dise, ceux-là ne parviendront jamais à passer le cap du live avec crédibilité. Crystal Castles, peut-être. Il faudrait que leur prestation soit à la hauteur – qu’ils puissent ajouter à l’intensité aliénante de leurs marches folles et de leurs envolées sordides l’ironie et la distance qui caractérise une formation comme Kraftwerk.

Alors, quand Crystal Castles II transforme une sentence innocente de Sigur Ros en marche technoïde (Year of Silence), c’est peut être pour nous révolter. Qui sait si, demain, une telle débauche ne sera pas la norme dans la culture populaire, et effectuée avec un sérieux pathétique de surcroît ? Si toutes ces supputations s’avéraient n’être que le fruit de mon imagination, alors Crystal Castles II n’est que la cerise sur un gâteau particulièrement glauque, une sorte d’impasse pathétique pour la pop électronique. Et qui osera les sampler à son tour ?

  • Parution : mai 2010
  • Label : Fiction
  • Producteur : Crystal Castles
  • Genre : Electro, Expérimental
  • A écouter : Celestica, Suffocation, Baptism

  • Appréciation : Mitigé
  • Note : 5.75/10
  • Qualités : Original, spontané

samedi 22 mai 2010

Jon Spencer - Blues explosion, etc.

« C’était juste après un concert et nous nous laissions aller. Je me souviens que nous roulions à Los Angeles, faisant l'aller-retour entre l'hôtel et le G-Son Studio, et quelqu'un avait une cassette de Like Flies on Sherbet par Alex Chilton. J’avais entendu ce disque auparavant - je suis un grand fan de Panther Burns et quelques trucs d’Alex Chilton - et je me souviens qu’à l’écouter, j’ai pensé : C'est génial. C'est tellement confus et tellement concret à la fois. » Confus et concret, c’est exactement la sensation que l’on a à l’écoute des albums de Jon Spencer.

Spencer est originaire de Hanover, New Hampshire. Au lycée, il écoute les groupes new wave Kraftwerk et Devo, ce qui ne l’empêche pas d’être populaire puisqu’il est élu président du conseil étudiant. Par la suite, alors qu’il est à l’université, il se met à Test Department, Birthday Party, Einsturzende Neubauten ainsi qu’aux groupes punk vintage : les Stooges, les Ramones, ainsi que les groupes 60’s obscurs recueillis sur les anthologies Back From the Grave. Dès le départ, Spencer a donc une vision assez extrême de ce que peut être le rock ; davantage que de la musique, c’est une machine de guerre, un acte de folie, de rebellion, un défouloir fun. Il pose un premier pied tonitruant dans la « musique » avec Pussy Galore, son premier projet, bruyant et offensant. Au summum de sa puissance, cette formation-là comprendrait quatre mauvais guitaristes, ainsi qu’un batteur qui frappait sur un bidon de gaz. Leurs compositions sont souvent très courtes et à la limite de l’audible. Ils déconstruisent Exile on Main Street (1972), le double des Stones, morceau par morceau. « Avec Pussy Galore, j'ai été beaucoup plus préoccupé par ce genre de grossièretés», dit Spencer. «J'étais frustré, et c'est de ça que ce groupe parlait. Mais j’ai traversé tout ça. J'ai réalisé que j'aimais vraiment écouter de la musique, et plus que tout, que j'aimais vraiment jouer de la musique. »

Après huit albums avec cinq labels différents, Pussy Galore se sépara en 1990. Spencer participa quelques temps au roots-rock tordu des Gibson Brothers et supporta son épouse, Cristina Martinez, dans le groupe bruitiste Honeymoon Killers.

En 1991, Spencer, Russell Simins, et Judah Bauer forment le Jon Spencer Blues Explosion. Le nom du groupe est inspiré par les Bluesbreakers de John Mayall, tout ce qu’il y a de plus sérieux ou presque. Si Pussy Galore était un groupe de rock consacré à bafouer l'histoire du rock, le Blues Explosion est un groupe qui s'engage à fournir de façon déformée et souvent irrévérencielle une prise sur le hip hop, le R & B, la soul, et surtout le rock’n’roll. Leur début éponyme en 1992 avait en vedette des blues hurlants enregistrés en live, dans toute leur gloire bruyante.

Le guitariste Judah Bauer, adorateur de blues, va donner toute la mesure d’une musique bien plus sophistiquée que celle de Pussy Galore ; tandis que Spencer se met à vraiment chanter, même s’il imite ses héros. Dès le départ, le Spencer Blues Explosion , malgré son penchant pour la parodie et la démesure, va être un bon candidat pour l’archétype rock’n’roll de la nouvelle génération – se réappropriant la manière de PJ Harvey, de Beck ou de Cave la force du blues, mais restant plus direct que ces trois-là réunis.

Beaucoup plus poli, Orange, en 1994, a ajouté des cordes luxuriantes dans le style d’Isaac Hayes, et les intros et apartés de Spencer inspiré par James Brown. «Je pense que ce que nous faisons c’est de de poursuivre une sorte d’idéal du rock’n’ roll. Le rock’n’ roll, pour moi, c'est emporter avec soi une idée qui a germé dans les années 50. Je pense que ça devrait être de la musique sauvage, de la musique bizarre. Je pense aussi que ça devrait être drôle - pas comme la comédie et les blagues, mais drôle, car ça vous fait vous sentir bien. Il faut aussi être sexy. Le rock 'n' roll, c'est le sexe. » Pour illustrer cette sentence, Spencer travaille son look de rocker avec gomina, se coiffant dans un style entre l’élégance d’Elvis et l’obséquieuse apparence de Nick Cave.

Alors que le succès du Jon Spencer Blues Explosion grandit au milieu des années 1990, une polémique qui couvait affecta le groupe. On les accusait avec de plus en plus d’insistance de détourner la musique noire, de s’en moquer. Mais l’accusation avait déjà été portée contre Led Zeppelin, par exemple. Pourtant, Spencer se défend même de faire du blues. « Nous ne sommes pas un groupe de blues, et nous n'essayons pas de l'être. Nous n'essayons pas de faire le point sur la musique blues, ou sur les musiciens de blues. Nous sommes un groupe de rock 'n' roll. » Il remarque par ailleurs que les élans passionnés qui font le pouvoir du meilleur blues sont très similaires, sinon identiques à ceux qui font le pouvoir le meilleur du punk-rock, et clot ainsi assez magistralement un débat un peu stupide vieux de quarante années. Ils vont avoir à se justifier de plus en plus souvent, même alors qu’ils travaillent avec R.L. Burnside, l’une des légendes du label Fat Possum, et enregistrent un disque avec lui, puis font Chicken Dog avec Rufus Thomas.

Un autre disque décisif pour le Blues Explosion est Now I Got Worry (1996), qui prend le contrepied de Orange en étant plus direct, plus brut, mais, malgré tout, jusque dans la pochette, entretenant une sorte d’élégance. A ce moment, Jon Spencer utilise aussi la musique pour mettre en scène ses doutes et ses angoisses intimes, presque au point de la rendre illisible et intimidante. Cette sensation que tout n’est que théâtre ne plaira pas à ceux qui défendent un certain idéal de l’honnêteté qu’Elvis n’incarnait sûrement pas et dont le rock s’est toujours passé. Encore un débat simpliste, puisque le rock a toujours été une forme d’expression complexe avec plusieurs niveaux de compréhension. Et qui d’autre que le Blues Explosion illustre mieux les différents aspects schizophrènes qui font le rock ? Au début des années 2000, le groupe semble pourtant s’essouffler.

Heavy Trash, avec Matt-Verta Ray, est l’occasion de changer légèrement la donne. C’est au depart un projet de second ordre, mais force est de constater que trois disques plus tard, le groupe s’impose comme le parfait projet d’un Spencer en pleine crise du middle-age. La théâtralité est toujours bien présente ; et la notion de fun est renouvellée. Spencer apparaît capable non seulement de recycler des anciennes formules et de leur donner une crédibilité terrible, mais il réussit aussi à retrouver sans cesse le chemin le plus direct vers ce qu’il a envie de faire, quoi que ce soit, et apparement sans effort. « Nous sommes sérieux et passionnés quant à la musique que nous faisons », se défend t-il encore une fois. C’est vrai qu’une partie du public y voit à nouveau une sorte de blague.


Discoghraphie sélective

Jon Spencer Blues Explosion

  • The Jon Spencer Blues Explosion (1992) 
  • Extra Width (1993) 
  • Orange (1994) 
  • Now I Got Worry (1996) 
  • ACME (1998) 
  • Plastic Fang (2002) 


Heavy Trash

  • Heavy Trash (2005) 
  • Going Way Out with Heavy Trash (2007) 
  • Midnight Soul Serenade (2009)
 

jeudi 20 mai 2010

Christina Antipa et June Madrona - Concert à la médiathèque associative des Musicophages



Christina Antipa l’annonçait fièrement en janvier : « beaucoup de choses vont changer cette année, pour en nommer deux : 1) je me baptise d’un nouveau nom. […] 2) […] Au début du mois de mai je m’envole pour la France pour un mois de tour européen avec June Madrona. Alors sortez me voir jouer. » Plus loin, elle propose de jouer « dans votre salon, votre jardin… » Car cette artiste est l’image de la simplicité la plus totale, venant présenter et faire vivre son petit monde chez les uns et les autres, un univers qui pourrait bien s‘avérer, si l’on prenait le temps d’apprécier son travail, particulièrement beau et marquant.

Christina Antipa est une compositrice, parolière et interprète qui vit en Californie, au beau milieu d’une scène folk richissime. Elle a trente ans, et cela fait dix ans depuis son premier disque, et plus de vingt depuis qu’elle a appris le haubois, avant de jouer aujourd’hui parfaitement la guitare (une magnifique épiphone), et aussi le clavier et le violon sur ses disques… Du folk intimiste, parfois un peu sombre, sublime, et une voix de plus en plus assurée mais aussi un peu fuyante, qui donne à ses histoires de langueur et d’études, de torpeur, de foi et de fantômes toute la dimension voulue. C’est son dernier album, The Royal We, qu’elle vient présenter au public français, et à l’occasion d’une soirée de grande émotion à Toulouse. Ce disque a été enregistré en 2009 avec la participation de musiciens qui ont manifestement tout compris à ce que recherche Antipa. La présence de scie musicale, de la fameuse guitare pedal-steel que chérissait le Neil Young à l’époque de Harvest, d’accordéon, de synthetiseur, et d’un boîte à rythmes sur trois morceaux dont une reprise de Sting (I Hung My Head) donnent à The Royal We une dimension à la fois folklorique et moderne.

Christina Antipa, sur cette tournée, fait la première partie d’une groupe basé à Olympia, dans l’état de Washington ; June Madrona, dont le chanteur, Ross Cowman, est aussi le co-fondateur d’un label américain alternatif et chaleureux, Bicycle Records, sur lequel est signé Antipa. Comme elle, on a affaire de ce côté-là à des rêveurs, dont la musique évoque parfois celle des Bowerbirds… et dont la marque la plus évidente est le banjo joué par Sean Carson, qui oscille au cœur d’un canevas enchanteur et de textes somme toute fort intelligibles pour nous, sur l’amitié, les saisons, la destruction et la rennaissance de relations humaines, des corps, et des communautés. Le quatuor June Madrona – Sean Carson, Danielle Chiero, Ross Cowman et Molly McDermott) a déjà publié quatre disques, mais je n’ai encore qu’à peine écouté celui que je leur ai pris, Lions of Cascadia, qui est décrit par Cowman comme une rêve d’avant l’amérique. Autant dire qu’à eux cinq, ils embrassent un univers onirique large et foisonnant.

Mais lorsqu’ils jouent ce soir, il y a aussi un sens de la communion, une amitié, une chaleur entre eux et avec le – maigre - public qui provoque la fascination. Peu de métériel a été installé ; seule Antipa joue électrique, tandis que June Madrona est complètement acoustique – banjo, violoncelle, guitare sèche, xylophone, la rythmique est parfois marqué par Cowman de coups de la paume contre le bois de sa guitare, et, finalement, un jeu de verres. Antipa a une longue liste de morceaux posée sur son ampli, et elle pioche au gré de ses envies, privilégiant des titres de son nouveau disque comme Beautiful Place et Here’s Your Ghost. A la basse, le boss de Waterhouse Records, son label pour l’europe, l’accompagne lorsqu’elle fait appel à lui. A un moment donné, il l’implore de jouer un vieux morceau qu’elle n’a plus interprété depuis longtemps ; elle accepte.

C’est sa première tournée à l’étranger ; de l’europe, elle ne connaît que la grèce, d’où son père est originaire. Après que je lui aie demandé de me dédicacer ses disques – chose qui la laisse sceptique car, me dit t-elle, cela ne se fait pas chez elle – nous discutons de choses et d’autres. Quand au nom du groupe, elle explique qu’elle souhaite cesser de s’appeler seulement par son nom parce qu’elle trouve que c’est manquer de respect aux musiciens qui l’accompagnent. Et il me paraît naturel qu’au point où elle en est arrivée elle puisse prétendre incarner la force motrice d’un véritable groupe, comme ces probables idoles de groupes country et folk – Lucinda Williams, etc. Lorsque je lui dis que je fais un peu de piano, elle me suggère, aussi simplement que cela, d’enregistrer à mon tour. « Un disque, c’est comme un journal intime », « on y consigne des choses des souvenirs. » Enregistrer, c’est garder une trace, c’est vrai. Ce qui ml’est venu à l’idée, c’est que cette empreinte était ensuite reproduite dans l’esprit des ses auditeurs ; que la musique c’est cela, une série d’empreintes qui gardent le mystère que leur interprète veut bien leur laisser. Antipa est mystérieuse parce qu’elle parle de « son cœur dépressif » ou de « comme toujours, des couches d’harmonies vocales tristes » en décrivant The Royal We ; avec une ironie discrète, une pudeur, une affection qui la fait protéger sa musique comme une possession de son coeur.

Ce disque, elle a mis un an à le faire. Et quand elle n’enregistre pas de musique, si elle n’est pas en train de la jouer, elle est bibliothécaire. Et elle a été secrétaire, me dit t-elle, comme l’une de ses premières chansons en atteste. Je devine une personnalité profondément littéraire...

Elle partageait aussi sa crainte d’avoir ennuyé, à cause du fait que le public français n’avait peut-être pas compris ce qu’elle chantait. Je pense cependant qu’il se produisait une alchimie qui allait au delà des mots, et je pense qu’elle l’avait compris, qu’elle ne partageait pas seulement des histoires qu’on ne pouvait comprendre mais qu’elle donnait de sa personne – peut-être que jouer devant un public si différent l’a faite réfléchir à ces nouveaux aspects. Pour ma part, je lui ait dit que j’avais presque pleuré à l’écouter, j’espère que ça lui a fait plaisir parce que c’était vrai. Enfin, elle nous interrogeait sur le fait que tant de groupes français chantent en anglais ; et disait craindre un monde ou l’anglais allait tout envahir, et formater. Si l’on chante en anglais ici, pourtant, cela part d’un sentiment sincère, c’est davantage qu’une vaine imitation ; c’est le résultat d’une admiration immense pour ces artistes si simples et la volonté d’être compris par eux, de les retrouver à un certain point ; de les rejoindre… et de pouvoir finalement impressionner des personnes comme Antipa, qui comprennent la musique au-delà des mots et savent l’écrire avec autant de talent.

mercredi 19 mai 2010

Jon Spencer par Jim DeRogatis


Ecrit par Jim Derogatis pour Penthouse, 1997, traduit. (quelque paragraphes supprimés)

Nous sommes en 2047, et bien que ça ne soit pas vraiment le moment de se demander ce qui est réellement arrivé à Robert Johnson à la croisée des chemins, j'ai réfléchi à l’une des grandes questions qui restent quant au rock 'n' roll des années 1990 : est-ce que le désormais légendaire Jon Spencer Blues Explosion était honnête dans sa tentative de fusion du punk et de différents genres de musique noire, ou était-ce seulement une blague ou un gros « fuck you ? »

Neuf longs mois frustrants de recherche à travers des coupures de journaux jaunies, les entrevues de vieillards dans des bars louches et des cuisines insalubres, et suivant obstinément une fausse piste après l'autre, j’ai finalement précipité ma carrière pitoyable. Spencer vit maintenant à Miami sous un faux nom, pour mieux éviter les documentaristes qui veulent l’immortaliser, le Rock ‘n’ Roll Hall of Fame qui souhaite l'introniser, et l'IRS qui cherche à l'inculper. Depuis les années 80, sa crinière de jais et ses favoris sont devenus blancs, mais il est toujours facilement reconnaissable comme le mince rocker débordant d'énergie nerveuse, si souvent aperçu dans les photos d'époque. Sa principale attitude, afin de se démarquer de son passé musical, sont ses manières glacées et fuyantes. En fait, j'avais été prévenu qu'il allait sans doute me saluer avec un fusil à la main.

Au lieu de cela, Spencer répond à la porte de sa maison portant des pantalons de golf larges et à carreaux, un chapeau pour s’habriter du soleil et des chaussures à crampons. Il reporte son après-midi sur le green et m’invite poliment moi pour une discussion sur fond de thon et de limonade préparés par sa femme adorable, Cristina. Convaincu que je vais garder sa nouvelle identité secrète, il me régale pendant des heures avec des histoires d'une jeunesse passée de traversées de l’Amérique dans une camionnette rouillée, d’arrêts durant lesquels ils jouaient un mélange de bruit art-rock schizophrène, de rythmes hip-hop, de blues et de hurlements. Je suis très heureux de l'écouter parler, mais je sais que je dois finalement poser la question qui est restée sans réponse pendant plus de cinq décennies – celle qui brûle dans l'esprit de nombreux musicologues, historiens de la culture, et les étudiants de ces fous postmodernes des nineties.

« M. Spencer, » Je commence timidement: «Si vous avez vraiment aimé la musique noire autant que vous avez dit que vous l’avez aimée, comment se fait-il que vous n’ayez jamais pu aller au-delà de la tourner en dérision ? »

Nous pourrions avoir à attendre 50 ans pour obtenir la réponse à cette question, parce que, si l’on revient au présent, Spencer est assis en coulisses dans la dressing room des têtes d’affiche au First Avenue de Minnéapolis - le club de rock où Prince se montra sur Purple Rain - et alors qu'il cherche pas exactement à éviter la question, il n'est pas non plus prêt à y faire face. Spencer est en tournée en support de Now I Got Worry, le quatrième album du trio (deux guitares et la batterie), et les critiques sont plus divisées que jamais. Pour certains, les Blues Explosion sont le grand espoir du rock indie. En revisitant le blues d'une perspective postmoderne, voire surréaliste, ses membres sont la preuve qu'il y a encore un peu de vie autour du cadavre en décomposition du rock 'n' roll. Pour d'autres, les membres du groupe sont des poseurs de bohème qui ont monté un spectacle de ménestrels des temps modernes. Les vrais bluesmen pourraient se botter le cul depuis le delta du Mississippi, tout le chemin du retour jusqu’au CBGB's.

«Nous allons certainement nous retrouver dans une situation de merde avec ce disque», dit Spencer, quelque part un maître de l’euphémisme. Calme, réfléchi, et notoirement timide quand il ne joue pas, le chanteur et auteur-compositeur est à peine audible par-dessus les sons du guitariste Judah Bauer, qui vérifie son équipement à plein volume sur scène. «Peut-être est-ce quelque chose qui devait arriver si nous continuions à travailler. La chose que je n'ai pas compris, ce que ce n'est pas bon pour les gamins blancs américains de jouer de la musique avec des influences blues? Je me rends compte qu'il y a de l’exagération dans ce que nous faisons, mais quand même ... »

Ici, le chef est interrompu par le batteur Russell Simins, le plus turbulent, le moins réfléchi des membres du groupe. «C'est parce que nous sommes appelés les Blues Explosion. Si nous ne nous n’étions pas appelés le Blues Explosion, nous n’aurions jamais entendu ce genre de merde. La seule raison pour laquelle on a entendu de la merde, c’est à cause du nom, point final. " 

Le point est discutable: la musique de Spencer était controversée bien avant qu’il ait formé le Blues Explosion. Spencer est le fils d'un professeur de chimie Dartmouth, et a grandi dans le confort de la classe moyenne supérieure dans la petite ville de Hanover, New Hampshire. Au lycée, il était de son propre aveu un « new wave geek » qui écoutait Kraftwerk et Devo, et il a été élu président du conseil étudiant. Au cours de sa première année à l'université de Brown, il a étudié la sémiotique et a découvert le bruitisme de l’avant garde-rock (Test Department, Birthday Party, Einsturzende Neubauten), ainsi que le punk vintage (les Stooges, les Ramones, et les groupes 60’s obscurs recueillis sur les anthologies Back From the Grave). Mais le collège n’a pas retenu son intérêt pour longtemps, et en 1985, il l’a quitté et a déménagé à Washington, DC, afin de former un groupe avec son amie, Julia Cafritz. Six mois plus tard, ils déménagèrent à New York dans le Lower East Side, et Spencer en est une partie intégrante depuis lors.

Spencer et Cafritz choisirent le nom de Pussy Galore en référence à la méchante dans James Bond, mais ce nom avait aussi l’intérêt d'être extrêmement offensant pour les féministes entre autres. L'objectif du groupe était de bousculer - avec sa colère, des sons abrasifs (le line-up le plus familier avait pour vedette quatre guitaristes qui ne savaient pas jouer et un batteur qui battait sur un bidon de gaz), des paroles de confrontation (parmi ses titres les plus populaires il y a eu « Cunt Tease », « You Look Like a Jew », « Asshole » et « Fuck You, Man »), et une philosophie qui disait: «Le rock'n'roll est mort, faisons la fête sur sa ressurrection » Incapable d’échapper au poids de l'histoire, Spencer ne s’embarrassait pas d’'originalité. Au lieu de cela, il s'est concentré sur des inside-jokes et des commentaires sarcastiques : le mouvement le plus célèbre du groupe était une déconstruction, morceau par morceau, du double des Rolling Stones, Exile On Main Street.

« Avec Pussy Galore, j'ai été beaucoup plus préoccupé par ce genre de grossièretés», dit Spencer. «J'étais frustré, et c'est de ça que ce groupe parlait. Mais j’ai traversé tout ça. J'ai réalisé que j'aimais vraiment écouter de la musique, et plus que tout, que j'aimais vraiment jouer de la musique. »

Après huit albums avec cinq label différents, Pussy Galore se sépara en 1990. Spencer participa quelques temps au roots-rock tordu des Gibson Brothers et supporta son épouse, Cristina Martinez, dans le groupe bruitiste Honeymoon Killers. Simins a d’ailleurs été le batteur des Honeymoon Killers. Fils du « commissionner » des travaux publics à New York, il a grandi à Long Island, jouant de la batterie dans la cave de ses parents par-dessus les disques des Ramones. Originaire de l’endormie Appleton, Wisconsin, Judah Bauer était en colocation avec Simins à l'époque. Il a passé ses années de lycée à pratiquer la guitare, affectionnant un punk-rock acide et dynamité, avant que sa passion ne se tourne vers le blues, et qu’il s'installe à New York.

En 1991, Spencer, Simins, Bauer forment le Jon Spencer Blues Explosion. Inspiré par les Bluesbreakers de John Mayall, le nom du groupe n’est pas aussi « in your face » que celui de Pussy Galore, mais Spencer espérait encore provoquer des réactions de la part des gens. « Le nom du groupe est ridicule, c'est une sorte de « fuck you « , dit-il. « Nous ne sommes pas un groupe de blues, et nous n'essayons pas de l'être. Nous n'essayons pas de faire le point sur la musique blues, ou sur les musiciens de blues. Nous sommes un groupe de rock 'n' roll. »

Le chanteur s'arrête un instant, jonglant avec les boutons de réglage sur sa guitare hollow-body. «Il est probablement plus juste de nous qualifier de groupe punk », poursuit-il. «Mais je pense que ce que nous faisons c’est de de poursuivre une sorte d’idéal du rock’n’ roll. Le rock’n’ roll, pour moi, c'est emporter avec soi une idée qui a germé dans les années 50. Je pense que ça devrait être de la musique sauvage, de la musique bizarre. Je pense aussi que devrait être drôle - pas comme de la comédie et des blagues, mais drôle, car ça vous fait vous sentir bien. Il faut aussi être sexy. Le rock 'n' roll, c'est d'abord le sexe. »

Si Pussy Galore était un groupe de rock consacré à bafouer l'histoire du rock, le Blues Explosion est un groupe qui s'engage à fournir de façon déformée et souvent irrévérencielle une prise sur le hip hop, le R & B, la soul, et surtout le blues. Enregistré avec non pas un mais deux légendaires producteurs (Kramer et Steve Albini), leur début éponyme en 1992 avait en vedette des stompers blues hurlants enregistrés en live, dans toute leur gloire bruyante comme une sorte mise à jour 90’s des Soth Recordings d’Alan Lomax. Beaucoup plus poli, Orange, en 1994, a ajouté des cordes luxuriantes dans le style d’Isaac Hayes, plusieurs titres orientés hip-hop, et les intros et apartés de Spencer inspiré par James Brown. (“Thank you very much, ladies and gentlemen. Right now I’ve got to tell you about the fabulous, most groovy bell bottoms!”)

Un détour inattendu, le EP Experimental Remixes en 1995 proposait des morceaux du Blues Explosion remixés par l’avatar techno Moby, le Dub Narcotic Sound System, les génies du rap du Wu-Tang Clan, et Beck. L'enregistrement était destiné à démontrer que le Blues Explosion estompait les frontières du genre de la même manière que ces artistes, mais il n'a pas tout à fait réussi. Experimental Remixes était généralement perçu comme un essai, et de nombreux critiques ont continué à s'interroger sur les intentions d’une Ivy League privilégiée qui tournait la musqiue noire en bruit blanc. «Qu’est-ce que Beck fait de ça? » Spencer grogne. « C'est quelqu'un qui a l’habitude d’échantillonner ce genre de choses. C’est cool pour quelqu'un de le faire avec un sampler, mais ce n'est pas cool pour un vrai groupe de le faire? »

Tout sémioticien ou postmoderne vous dira que l'authenticité est une notion dépassée. Le rock'n'roll était un hybride bâtard de formes artistiques depuis le début. Tout est bon dans ère de l’appropriation, et si devez voler, pourquoi ne pas voler le meilleur ? La différence entre Beck et Spencer est une question d’attitude. Beck semble habituellement respectueux de la musique, même quand il fait n’importe quoi avec. Il prend des morceaux de genres exotiques, les filtre au travers de sa forte personnalité, et crée un son qui est véritablement le sien. Spencer ne se met jamais lui-même sur la ligne. C'est un commando qui se précipite pour un casse et saisit les éléments de la musique noire, puis se précipite pour se protéger derrière un bunker construit d'ironie. Son chant est exagéré au point de la parodie ; ses cris sur scène de Blues Explosion! sont répétés depuis tellement longtemps, au point où ils cessent d'être drôles, et le groupe a récemment embauché le célèbre bouffon Weird Al Yankovic à réaliser un mauvais clip pour la chanson autrement intense, Wail.

Comme James Brown, Mick Jagger, et les Ramones avant lui, Beck vire parfois dans le camp. Mais Spencer cuisine presque toujours le kitsh sur ces plats, et à cet égard, il est dans la même ligue que Dan Akroyd et Bruce Willis improvisant sur Sweet Home, Chicago à la House of Blues.

Tout au long de l'histoire du rock, les critiques ont eu du mal à s’en sortir avec d’autres groupes qui n'étaient pas à cent pour cent respectueux de la musique noire qu’ils rejouaient. Eric Clapton et les Rolling Stones ont été salués car ils remerciaient leurs héros du bout des lèvres, alors que Led Zeppelin et Vanilla Ice ont été mis au pilori pour ce qui a été étiqueté comme un manque de respect et un vol de gros. Spencer semble sincèrement étonné par cela. De son point de vue, c'est simplement du rock 'n' roll, et les élans passionnés qui font le pouvoir du meilleur blues sont très similaires, sinon identiques à ceux qui font le pouvoir le meilleur du punk-rock. «Les deux formes sont très simples, » dit Spencer. «Mon genre préféré de punk est très individuel - les gens tirent d'eux-mêmes tout type d'enseignement et trouvent leur propre voie. La musique sonne juste en provenant directement d'eux-mêmes. Et c'est vrai du blues, aussi. Des mecs comme RL Burnside sont aussi autodidactes et capables de trouver leur propre son. »

Un bluesman de 70 ans qui a appris du légendaire Mississippi Fred McDowell, Spencer affirme que Burnside a été une influence majeure sur le Blues Explosion. Fans de son album Too Bad Jim, les membres du groupe ont invité Burnside à ouvrir pour eux en tournée. Cela menait à une jam les soirs à la fin de leur set - et finalement à l'enregistrement de l'album de 1996 A Pocket Ass of Whiskey dans la ville natale de Burnside de Holly Springs, Mississippi.

«Les choses que nous avons jouées avec RL était très simples, rectilignes, de la musique soul, » remarque Simins. «Je suis simplement content de jouer ce que j’ai joué. Ce n'est pas comme si R.L. nous avait appris à jouer du blues. Mais pour moi, c'était une leçon d'humilité, parce que, vous savez - Robert Johnson et Mississippi Fred McDowell et Howlin 'Wolf, ils sont tous mes putain de héros, et je n'ai jamais pensé que je serais capable de tout contact direct et réel avec eux. Être en présence de R.L. vous donne l’impression d’être lié à ce monde. »

Le plan consistait à enregistrer à nouveau avec Burnside sur Now I Got Worry, mais Spencer craignait que le groupe ne soit accusé de s’appuyer trop lourdement sur le bluesman. Le Blues Explosion s’est alors tourné vers une autre légende musicale : la star de Stax / Volt Rufus Thomas est venu au studio, a aboyé et croassé sur Chicken Dog, et a été payé 500 $ pour le dérangement. Dans ces deux collaborations, les guitares déformées du groupe et les lamentations du Theremin ont été bien loin de ce à quoi Burnside et Thomas étaient habitués. Mais les vétérans ont fait de leur mieux pour donner aux jeunes musiciens ce qu'ils voulaient.

«Je pense qu'il y a eu une grande influence de RL Burnside et de son groupe sur Now I Got Worry», affirme Spencer. « Orange était genre, nous devons nous assurer que tout sonne bien, et nous étions vraiment en train d’essayer d'avoir un son puissant. Celui-ci était plus de style : OK, just let’s go. C’était juste après un concert et nous nous laissions aller. Je me souviens que nous roulions à Los Angeles, faisant l'aller-retour entre l'hôtel et le G-Son Studio, et quelqu'un avait une cassette de Like Flies on Sherbet par Alex Chilton. J’avais entendu ce disque auparavant - je suis un grand fan de Panther Burns et quelques trucs d’Alex Chilton - et je me souviens qu’à l’écouter, j’ai pensé : «C'est génial. C'est tellement confus et tellement concret à la fois. »

Les idéaux qu’épouse Spencer sont évidemment admirables. Une trop grosse part du rock moderne est trop soignée, propre et idéalement emballée pour la consommation de masse. Rock dépourvu d'immédiateté, alors qu’en même temps, il n'a pas de sens de l'histoire. Comme PJ Harvey, Beck, et Nick Cave l’ont indiqué, l’apport de nouveaux sons viscéraux peut être fait en traçant la ligne entre le rock et ses origines blues. Mais ces artistes, comme Spencer, n'ont pas peur de trahir leurs émotions, et même les moments les plus cathartiques sur Now I Got Worry - Wail et la rageuse Fuck Shit Up - vous laissent songeur, en fin de compte.

«Lorsque j’ai ait eu terminé avec ce disque, je pensais que c'était un album lourd et sombre», dit Spencer. «Bien sûr, il ya des chansons comme Chicken Dog et RL Got Soul qui sont des chansons juste amusantes. Mais ma perception de l'album est nuancée parce que je sais ce que portent certaines des autres chansons ». De quel genre de démons Spencer se purgeait t-il? Par tous les comptes, sa vie familiale est l'image du bonheur domestique. Après Thurston Moore et Kim Gordon de Sonic Youth, lui et Cristina sont le couple le plus affectueux dans le rock underground. La voix de Spencer crache généralement des fragments de mots et de phrases, de sorte qu'il est impossible de dire ce qui le fait travailler dans ce qu’il chante.

«Les gens posent habituellement cette question, et je préfère ne pas en parler», dit Spencer. «Si je pouvais en parler de façon normale, alors c’est qu’il n’y aurait pas de troubles, et pourquoi alors écrire une chanson? Je ne suis probablement pas le parolier qui a le plus de succès ou de le chanteur le plus intelligible, mais je pense que si quelqu'un peut obtenir un sentiment général d'une chanson, ça suffit. Pas besoin que tout soit évident. La chose qui me fait peur, en quelque sorte, c'est des gens qui pensent qu'il n'y a pas de cœur et d'âme en elle - que c'est de la musique sans émotion et froide, un simple exercice de restructuration . »


















mercredi 12 mai 2010

PAVEMENT - Brighten The Corners (1997)



 OOO
entraînant, ludique,culte
indie rock, rock alternatif

Déjà, le crépuscule de Pavement s'annonce. Et pourtant, on ne peut s'empêcher de se dire, par moments, que le groupe amené par Stephen Malkmus n'a jamais aussi bien joué. C'est le cas sur les deux premiers morceaux, Stereo et Shady Lane, où tout est parfaitement (trop?) en place tandis que, cependant, continuent de couver les envies aléatoires de ceux qui sont devenus de véritables musiciens. Malkmus chante mieux que jamais, comme s'il assumait enfin complètement son jeu à double-tranchant – répulsion et séduction. Dès Stereo, on sent l'envie de séduire davantage peut être que par le passé, et pourtant, Malkmus ne manque pas de rappeler le principe Pavement ; un « projet artistique » fait par des gens qui ne savaient « pas jouer, pas chanter ». Sa manière de dire « get off the air » est inimitable, pleine de justesse et exécrant la perfection. Sa voix est aussi volontiers mise en avant – l'effet de plus de clarté – et c'est particulièrement vrai sur Starlings of the Slipstream. Brighten the Corners Comme son titre l'indique, arrondit les angles. 

Transport is Arranged semble trouver, enfin, l'endroit où Pavement se sent bien, tout ces disques à la musique tendue vers l'avant, toujours à la recherche d'un avenir et faisant toujours en sorte, jusque là, de le garder incertain. Blue Hawaian est aussi dans cette veine, une sorte de fenêtre au soleil où le laisser-aller a remplacé l'audace et l'impétuosité. Et, chose amusante, Pavement n'est peut-être jamais meilleur que lorsque il se repose sur ses lauriers. Au moment de Brighten The Corners, Pavement devient légitime et fait de la musique agréable, des hits pour le moment présent. En témoigne Date W/ Ikea, l'un des deux morceaux chantés par Scott  Kannberg. Ce disque semblait inévitable, qui annonce que le groupe a trouvé une stabilité, une force d'exécution, une cohérence qui lui faisait défaut parce qu'il n'en voulait pas vraiment avant. C'est comme si l'expérience éclatée de Wowee Zowee  (1995) - le disque que Malkmus avait toujours voulu faire - les avait fait choisir le contre-pied, dans un style plus participatif là ou les trois précédents albums étaient marqués par la prédominance de Malkmus. 

Heureusement, si Brighten the Corners ne provoque pas l'affection de son prédécesseur, Pavement garde son charme. On a toujours droit aux circonvolutions typiques et aux introductions doucement dissonantes. Embassy Row est un hit underground comme seul le groupe sait les faire. Plus puissant que jamais, Pavement rattrape clairement ici le temps perdu en mélanges et en recherches, et joue avec la hargne d'adolescents qui ont tout à prouver. La limite du disque vient ensuite, alors que le groupe semble répéter la même formule à l'envi. We Are Underused donne un peu l'impression inverse de son titre, à savoir un gimmick sur-utilisé – mais toujours irrésistible ! Sur Passat Dream, la voix de Kannberg ressemble, de manière amusante, à celle de Bernard Sumner (New Order) quand il chante pour Bad Lieutenant. Il semble que des influences grandissantes incitent le groupe à s'éloigner du Pueblo, des Canyon et des Western Homes et à adopter une attitude qui n'a jamais été aussi anglaise.

Les morceaux sont mieux construits et mieux produits que par le passé. Plus riches aussi, puisqu'il y a même des choeurs. L'impression générale est celle d'un disque détendu et entendu, parfaitement chapeauté par cette Infinite Spark, qui donne à nos oreilles la sensation d'avoir déjà été jouée dix fois par ce même groupe, mais qui est apaisante, confortable comme jamais. On ressonge aux cris épileptiques qui terminaient Wowee Zowee et on se dit que ça y est, une certaine part de Pavement n'est plus qu'un vieux souvenir... ou comment évoluer, se transformer en gagnant en élégance ce que l'on perd en témérité. Il y a moins d'images, et le son est plus envahissant – l'idée de la stéréo.


lundi 10 mai 2010

{archive} Rainy Day LP (1984)


Voir aussi le chronique de She Hangs Brightly (1990)
Voir aussi la chronique So Tonight That i Might See (1993)
Voir aussi la chronique de Bavarian Fruit Bread (2001)
Voir aussi la chronique de Trough the Devil Softly (2009)
Voir aussi l'article sur Hope Sandoval

Parution : 1984
Label : Rough Trade
Genre : Psychédélique, Folk, Rock
A écouter : Rainy Day, Dream Away, I’ll Keep It With Mine

Note : 8.25/10
Qualités : ludique, sensuel

Ce serait dommage de ne pas rendre à David Roback, la moitié du duo sensuel Mazzy Star, ce qui lui appartient, d'autant plus que ce disque a une saveur intemporelle qui dépasse largement son statut d'album de reprises. Roback avait déjà, six ans avant de fonder Mazzy Star avec Hope Sandoval, les idées – ou les obsessions - bien en place ; musique country pour la langeur, folk-rock comme les chansons de Nico sur le disque du Velvet Underground, et psychédélisme comme les Doors au moment de leur premier disque (avec des morceaux comme Light my Fire et The End). Rainy Day, le groupe d’un seul disque, est un exercice pratique délectable et moins savant qu’on peut le croire ; le son de New-York est remis à plat par une team assommée de soleil.

Ce disque ressemble donc à un clin d’œil décomplexé avant tout, même si l’on suspecte que Roback ait beaucoup désiré que le témoin des légendes sixties lui revienne à lui, au moment de Rainy Day comme partout ailleurs dans sa carrière. Roback participe à tous les morceaux, donne le ton, de manière plutôt discrète, de ce disque collaboratif ; sur On the Way Home (Neil Young), il est même seul avec sa guitare, sans que cela fasse vraiment des étincelles. Au moment de ce disque, Roback vient d’en terminer avec Rain Parade, groupe de la scène underground de Los Angeles qu’il fonda avec son frère Steven et qui connut un succès critique avec son unique disque Emergency Third Rail Power Trip en 1983, soit juste un an avant cet effort collectif sous le nom de Rainy Day.

Roback n’est, ici, pas le centre de l’attention (il chante sur deux morceaux, mais sa voix est quelconque). Et de ce fait, l’une des particularités du disque : Kendra Smith (Dream Syndicate), Michael Quercio (de Three o’Clock un autre groupe de la scène néo psychédélique qui rencontra un certain succès ; et aussi ex-Salvation Army, The Permanent Green Light, et The Jupiter Affect en ce moment), Susanna Hoffs et Roback se partagent les lead vocals selon les titres, et pléthore d’autres musiciens de cette fameuse scène californienne participent pour ajouter, ça où là, quelque coquetterie.

Des influences, donc. Femme Fatale ou I’ll Be Your Mirror, sur The Velvet Underground and Nico (1967) sont épongés et …Mirror est même ressortie presque telle quelle. Parce c’est aussi un disque de reprises, au moins une de Dylan (I’ll Keep It With Mine), une du Velvet et On the Way Home de Young – mais, on suppose que ça ne s’arrête pas là. La plupart des morceaux ressuscitent la pop sensuelle, charnelle, evanescente et intello du Velvet, et ils marchent le mieux lorsqu’ils sont interprétés par Kendra Smith. Roback aura raison de former Opal, son nouveau groupe, avec elle. Leur rencontre serait d’ailleurs à l’origne de la fin de l’aventure Rain Parade. Il trouvera plus impressionnante encore Hope Sandoval, qui, elle, admirait Kendra Smith et était fan de Dream Syndicate. Un sorte de ballet, de jeu de rôles pimente la carrière de l’effacé Roback.

Le disque se terminerait en un rien de temps, à peu près le temps d’une grosse averse, s’il n’y avait le dernier titre, Rainy Day, Dream Away. …Dream Away n’est pas chantée par Roback, mais par Michael Quercio. Lui aussi est une éponge ; ses inspirations sont diverses, même si l’une des plus notables est sans doute Animals de Pink Floyd, le seul disque qu’il cite, entre deux artistes, dans sa liste d’influences sur sa page MySpace. Sur Rainy Day, Dream Away, il ressemble à Jim Morrison, et la musique est entre une jam des Floyd première période et et titre des Doors qui serait étiré (ce qu’ils avaient évidemment l’habitude de faire en live). Plus de onze minutes, et on l’écoute volontiers en boucle – il semble même que ce soit le genre de plage conçue pour cela ; s’y prélasser. Le sommet de désinvolture dans un disque détendu, mais précis et détaillé. Le son des influences, la tension en moins, en somme.

Un document édifiant pour qui cherche à élucider le mystère de l’alchimie Mazzy Star, qui produisit l’une des musiques les plus pertinentes des années 1990.




Johnny Cash - La dernière période



Dans quelques semaines, le nouveau disque de Cash paraîtra. Johnny Cash ? Bien que mort le 12 septembre 2003, le plus noir prêcheur du monde n’a pas dit son dernier mot. Ceux qui savent que Cash a laissé paraître au cours de sa carrière une centaine de disques et au moins autant de compilations ne seront pas très impressionnés, tant qu’il leur manque une information essentielle ; le posthume American VI : Ain’t No Grave est le dernier chapitre d’une collaboration épique du musicien avec un producteur d’exception.

La carrière de Johnny Cash a été chaotique, et l’image qu’on peut avoir de lui comme un artiste country paisible qui publie ses disques au rythme des saisons est l’antithèse de ce qu’il a vraiment été. Un homme nerveux, frénétique, consommateur chronique de drogues et grand cynique lorsqu’il devait se défendre. Sombre, évasif, instable et lucide, tels étaient les traits de caractère de l’homme qui sut capturer le vrai, jouer de son épileptique sagesse pour avancer, lentement mais sûrement, jusqu’à sa rencontre avec son destin tardif.

La constante remarquable qui donne une cohérence à la vie de Cash se nomme June Carter, sa lumière, sa collaboratrice et son épouse pendant trente cinq ans - depuis 1968 jusqu’à la mort de celle-ci quelques mois avant la sienne en 2003. On retrouve la chanteuse country dans la biographie filmée de Cash, où elle est jouée par Reese Witherspoon. Le film permet de mieux cerner la personnalité de Cash ; enfiévré, impulsif, sensible et particulièrement vulnérable vis-à-vis du succès. Il méprisait bien sûr les sources de ce succès, les médias, les maisons de disques – il a eu une relation plutôt négative avec Columbia durant les années 1980 – et détournait à leur encontre ses talents vers le cynisme. Le résultat fut par exemple ce morceau, Chiken in Black (le poulet en noir), accompagné d’une vidéo dans laquelle on voyait le cerveau de Cash greffé sur un poulet, remplacé dans sa tête par celui d’un braqueur de banques.

Dès lors, on imagine que travailler avec l’artiste n’est pas forcément plaisant. Il fallait quelqu’un de charismatique et de patient. Rick Rubin sera cet homme. Aujourd’hui PDG à mi-temps de Columbia (ses conditions lorsqu’on lui a proposé le poste : je travaille chez moi ; je reste à mi-temps), et à la tête de son propre label American Recordings, Rubin est l’amoureux de musique par excellence, et de musique américaine en particulier. Ses nombreuses collaborations, qui incluent des monstres sacrés de l’amérique comme les Beastie Boys, les Red hot Chili Peppers et Metallica mais aussi, plus récemment, des groupes folk. « J’ai toujours aimé le folk et les musiques traditionnelles», explique t-il à Sylvie Simmons. « J’ai le sentiment que tout vient de là, de toute façon. »

Son label, American Recordings, va être créé au début des années 1990, alors que Rubin est déjà un producteur de renom. C’est à cette époque qu’il rencontre pour la première fois Johnny Cash, et devient comme sous le coup d’une révélation tardive l’un de ses plus grands admirateurs. Faisant référence aux concerts que Cash donna aux prisons de Folsom et de St. Quentin, Rubin dira : « Johnny Cash ne cadrait pas avec les codes de la société. Il avait une part d’ombre importante. C’était plus qu’un artiste country (…)… Pour moi, il incarnait l’essence même de ce qu’est le rock’n roll ». Quant à leur première rencontre, dans un club de Los Angeles : « Mon impression est que nous avons communiqué à un niveau qui se situait au-delà de la parole. »

Johnny Cash sortait alors d’une longue et frustrante période à couteaux tirés avec Columbia, il avait été à peu près oublié par l’Amérique, ne faisant plus les charts depuis des années. Le premier travail de Rubin, dès lors que la collaboration se concrétise, va être de briser la routine de Cash. « Mon but était de l’obliger à envisager différemment sa façon d’enregistrer les disques. » « La plupart des artistes avec lesquels j’ai travaillé jusqu’alors étaient relativement jeunes. Souvent, il s’agissait de leur premier ou de leur second disque avec moi. Et la passion qu’une jeune personne met dans ce genre de disque, ce n’est pas rien ! Mais, pour un artiste qui en a déjà fait une centaine, comme Johnny, ça peut ne pas avoir la même importance. C’est juste un album de plus. » Alors que Cash souhait le plus simplement du monde, enregistrer les morceaux qu’il avait préparés, Rubin lui conseilla d’expérimenter davantage. « Nous cherchions inlassablement le son de ce disque. Finalement, après avoir épuisé toutes les options, nous sommes revenus à la formule que nous avions testée au tout début, dans mon salon. Toute l’essence du disque était là et il semblait impossible de faire mieux. »

Le résultat, c’est le premier volet des American Recordings en 1994. Dépouillé et parfois sombre, il montre Cash le plus à nu, seulement accompagné de sa guitare – un exercice auquel le musicien n’était pas habitué. Il avait presque toujours été encadré par un groupe, et cette nouvelle configuration a pu jouer de son confort. L’effet recherché par Rubin était d’obtenir quelque chose de neuf, et American y parvient. Un Cash vieillissant y reprend Kris Kristofferson, Tom Waits ou Leonard Cohen – des choix moins étonnants que par la suite - en se les appropriant de la plus brillante manière.

Les goûts éclectiques de Rubin finissent par convaincre Cash de tenter des reprises plus inattendues, avec un succès inégal. Ce sera par exemple Rusty Cage de Soundgarden (un groupe à tendance heavy metal), I See A Darkness de Will Oldham, The Mercy Seat de Nick Cave et surtout Hurt, de Nine Inch Nails, qu’il se réappropriera complètement à la fin de sa vie et qui constituera, accompagné d’une émouvante vidéo, son épitaphe, au grand malaise de Trent Reznor, à l’origine de la chanson. Cash s’appropria si bien sa chanson que Reznor s’en est senti dépossédé.

Johnny Cash va être souvent séduit par les choix de reprises effectués par Rubin. Parfois, l’expérience va être plus curieuse et Cash montrer davantage de réticence, comme lorsque Rubin lui fait écouter Rusty Cage. Convaincre le musicien aux voies traditionelles que cette chanson peut trouver une résonance en lui va nécessiter que Rubin en fasse une maquette en la retravaillant en acoustique et en la chantant différemment. Pour Personal Jesus, de Depeche Mode, c’est un modèle blues qui est préparé et c’est par ce biais que Cash pourra s’intéresser plus avant au contenu symbolique et fort du morceau.

Une collaboration très ouverte s’installe entre le musicien et le producteur. « Il disait toujours ce qu’il pensait et n’oubliait jamais de me demander mon avis. S’il pensait qu’une prise était bonne et que, moi, je jugeais qu’il pouvait faire mieux, il s’y remettait. Et s’il considérait qu’il pouvait faire mieux, mais que je pensais que c’était bien, il me disait OK. Ou alors, d’accord, mais laisses moi en faire une dernière ». Hurt, qui est pour beaucoup la plus touchante interprétation de Cash et la plus vibrante du rock depuis longtemps, Rubin avoue avoir insisté davantage. Il était convaincu que les paroles, chantées par Cash, prendraient une autre dimension.

Pour Unchained (1996), le deuxième opus de la série, Rick Rubin fit appel à Tom Petty and the Heartbreakers, l’un de ses nombreux couteaux suisses, cherchant peut être à donner une nouvelle respiration à leur collaboration, à déchainer Cash, explicitement, après que celui-ci est expérimenté la solitude presque totale avec le premier disque. « Jusque là, j’avais toujours été accompagné par un groupe. J’avais toujours eu quelqu’un avec moi »…, avoue le musicien. Les collaborations sur ce disque comptent aussi Nick Cave et John Fruciante des Red Hot Chili Peppers.

La santé de Johnny Cash se dégrade – on lui trouve le syndrome de Shy-Dager, une maladie neurodégénérative, et un diabète. Il ne pourra bientôt plus jouer lui-même de la guitare. Il doit restreindre ses activités musicales et ses tournées. Cependant, avec American III : Solitary Man (2000) et American IV : The Man Comes Around (2002), sa lucidité reste intacte. Seule sa voix se dégrade, et donne une autre dimension, peut-être inattendue, à son travail. Plus sombres que les deux premiers opus, ils rencontrent encore davantage de succès. Comme si l’impudeur de Cash, qui n’épargne aucune allusion à son état débilitant, émouvait son public. Des morceaux tels la reprise de Hurt lui attirent aussi un nouveau public, plus jeune, et son travail prend définitivement une nouvelle envergure, comme Rubin l’avait souhaité. The Man Comes Around est disque d’or.

A sa mort en 2003, la saga American va continuer. La même année, un coffret de cinq disques, Unearthed, paraît, qui contient de nombreux morceaux qui n’avaient pas été sélectionnés pour les disques ou d’autres inédits comme cette version de Redemption Song de Bob Marley en duo avec Joe Strummer. Avec la même régularité que de son vivant, paraît en 2005 American V : A Hundred Highways, disque encore plus beau que le précédent, et qui semble sceller l’amitié et la compréhension mutuelle entre Cash et Rubin. If You Could Only Read My Mind, une reprise de Gordon Lightfoot, en est l’un des moments forts. I’m free From the Chain Gang Now est une réminiscence du début des années soixante ; la boucle est bouclée, en quelque sorte.

American VI, c’est encore une volonté de Rubin. Les chansons ont été enregistrées dans les semaines avant la mort de Cash en 2003, et sont davantage dans une veine traditionnelle et même pour certains inspirés de gospel. Et un ultime pied-de-nez ; le choix surprenant du dernier titre de Ain’t No Grave, Aloha Hawaï, une chanson hawaïenne, « très poignante » selon le producteur.



Bertrand Redon
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