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jeudi 24 février 2011

Captain Beefheart


Voir aussi : "13 raisons pour lesquelles on aime Captain Beefheart" par Mojo Magazine.

Dans chaque discipline, des gens ont instauré des règles ; et dans les disciplines créatives, on dirait qu’il y a encore plus de règles qu’ailleurs. Par exemple, si on prend le journalisme, activité qui devrait contenir son propre sens de la création. Il faut maintenant être journaliste de métier ; avoir sa carte et être invité là où l’on croit qu’on a choisi d’aller, pour écrire sur ce qu’on croit avoir eu l’idée d’écrire. Certains sont mêmes conscients qu’ils n’ont pas eu le choix quant à ce qu’ils devaient écrire, ou pire, quant à la manière dont ils devaient l’écrire. Ils emploient les mots et expressions surannées dont ils ont pourtant l’impression qu’elles leur correspondent. Ils ne prétendent même pas avoir de conscience supérieure, de sensibilité létale qu’ils pourraient rendre au centuple dans leurs articles.
Plus ils montent en grade, et plus ils sont heureux de respecter une ligne éditoriale ou une autre. La plupart ne font que suivre un mouvement vain et c’est pour ça que les journalistes des grands médias donnent l’impression de toujours avoir un train de retard. Ils ne font qu’emboîter le pas à ceux qui ont créé l’information, et qui ne sont pas journalistes, ou qui ne le sont que parce qu’on dit qu’ils le sont.

Les musiciens sont souvent encore pires, et c’est une chose extraordinaire que l’un d’entre eux ait été Don Van Vliet, ou Captain Beefheart (1941-2010). Beefheart n’était pas musicien au sens où la plupart des gens l’entendent, et pourtant, il a enregistré des disques qui ont inspiré quantité de musiciens, souvent talentueux. C’est souvent un signe de talent de la part d’un musicien, aujourd’hui, que de citer Beefheart comme influence.
Le musicien que vous admirez admire Beefheart, à moins que la chaîne ne soit plus longue. Le musicien que vous admirez admire un musicien qui admire un musicien qui admire drôlement un artiste aux poses impossibles qui s’apellait Don Van Vliet dans la vraie vie et Captain Beefheart dans une vie encore plus follement réelle. Cela vous met au bout d’une chaîne de qualité sensiblement identique à celle qui sépare les personnes sensibles avec leur propre compte rendu du monde et les journalistes. Imaginez la traînée d’une comète dont vous êtes la dernière particule.

Dans de nombreux cas, ceux qui ont brisé les règles ont été largement imités, sans être pour autant compris du plus grand nombre. Mais ce n’est qu’un mauvais sort de conscience, car en ce qui concerne Captain Beefheart, tout ne s’explique pas sur un ton sentencieux et un mépris qui l’opposerait à la musique trop obéissante. La contradiction ne lui est pas étrangère. Mais, mieux ; il a capturé l’esprit de contradiction de son monde, en voyant Trout Mask Replica (1969) et Lick my Decals Of, Baby (1970), deux de ses albums, se classer 20e et 21ème dans les charts anglais de l’époque.
Commencer par évoquer Trout Mask Replica, l’album le plus controversé et le plus extrême de Captain Beefheart et de son groupe le Magic Band, est sans doute le meilleur moyen de diviser son public potentiel en deux camps peu distincts ; ceux qui en écouteront la moitié du premier titre et éteindront aussitôt, dans l’incompréhension de ce qu’ils viennent d’entendre. Il y a aussi ceux à qui on a dit avec insistance qu’il fallait qu’ils l’écoutent. Parmi eux, quatre-vingt dix pour cent vont éteindre au bout de vingt secondes. Car les gens qui vous conseillent d’écouter absolument tel ou tel groupe ont rarement les mêmes goûts que vous ; ils ont même souvent des attirances que vous ne comprenez pas pour des choses dont vous avez déjà décidé sans forcément les avoir écoutées qu’elles n’ont pas d’intérêt pour vous. Donc vous serez encore plus méfiant à l’écoute que si on ne vous avait rien dit.

Trout Mask Replica va donc rester hors de votre vue pendant longtemps. Mais un jour… Par exemple, lorsque vous vous rendez compte que tous les journaux que vous lisez se fendent d’un article plus ou moins conséquent au moment de la mort d’un certain Don Van Vliet, le 20 décembre 2010. Vous ne l’avez pas reconnu tout de suite sur la photo parce qu’il n’a plus son masque en tête de poisson. C’est le même appétit de musique noble qui vous conduit à apprendre la mort de Van Vliet, que celui qui vous avait sommé de faire cesser le vacarme après trente secondes de Beefheart.
Vous découvrez que Captain Beefheart était un artiste profondément excentrique et touche-à-tout. Si son copinage avec Frank Zappa vous laisse sceptique, ses prétendus pouvoirs psychiques attirent particulièrement votre attention. Ainsi que d’apprendre qu’il avait enregistré une dizaine de disques en 1967 et 1982, la plupart avec un jeune groupe débordant d’énergie, de professionnalisme et de qualités diplomatiques baptisé le Magic Band. S’attirant Ry Cooder (prodige du blues qui depuis a eu une brillante carrière comme musicien et producteur) il enregistra Safe As Milk (1967). Lequel opus est décrit comme influencé par Otis Redding et Howlin’ Wolf… Vous finissez par mettre la main dessus, et, hormis quelque rythmes étranges, il s’avère être un cocktail irrésistible de blues psychédélique. Ce disque là n’a pas vieilli, il est bourré de titres qui méritent un été à eux tous seuls. Le tandem The Spotlight Kid (1972)/ClearSpot (1973) est lui aussi hautement écoutable. Vous pouvez bien faire tout le tour de la discographie de Beefheart, mais, juste après un crochet par Lick my Decals Off, Baby, vous finirez par retourner à Trout Mask Replica.

Pouvoirs psychiques

Un jour le Magic Band attendait de pouvoir répéter, mais un groupe était encore à l’intérieur de la salle en train de boire des bières. Cliff Martinez, le batteur du Magic Band en 1981-1982 se souvient : « On était tous assis dans le parking et Don se plaignait : ‘Mec, est-ce qu’ils comptent partir ? Je peux les faire partir mais ca va trop me coûter’. Il faisait référence à ses pouvoirs psychiques – il ne parlait pas d’y aller et de leur parler. 10 ou 15 minutes de plus passent et il fait, ‘Regardez ! » Il était appuyé contre une voiture, dos au groupe de buveurs, et il entre dans une sorte de transe. J’ai pensé, cool, je vais voir quelques uns de ses pouvoirs psychiques. Il reste immobile et le groupe n’avait toujours pas l’intention de partir. Il ouvre un œil et regarde par-dessus son épaule, et avec l’air résigné, il finit par dire : ‘Ok, mec, ils sont stupides’ ».
Don signifiait peut–être qu’il fallait une certaine intelligence pour tomber sous son contrôle. Beefheart croyait en un pouvoir supérieur que suscitaient les vibrations de sa musique. Peut-être pensait t-il que l’amalgame sonore qu’il produisait le ferait accéder à une nouvelle puissance qu’il avait déjà la sensation d’effleurer. Ensuite, comme Tom Waits (qui le cite naturellement comme influence), Beefheart aimait inventer des histoires ou exagérer les situations déjà étranges que produisait généralement sa présence.
John French, le batteur de l’époque Trout Mask Replica, raconte dans Trought the Eyes of Magic, son témoignage paru en 2010, une étrange expérience. Alors qu’ils se trouvaient à l’intérieur et que Beefheart préparait quelque chose à manger, un objet non identifié a soudain jailli d’une étagère pour tomber aux pieds de Don. French, depuis le salon, avait aussitôt demandé ce qui venait de se passer. Il s’est entendu dire par Beefheart, le plus naturellement du monde, qu’il s’agissait de télékinésie.


Création

John French, aussi transcripteur des idées de Beefheart en musique, raconte l’interaction unique de celui-ci avec ses musiciens. « Don a eu beau être un génie créatif, il n’aurait été qu’un type avec une valise pleine de cassettes si Bill Harkleroad [le guitariste] et les autres ne l’avaient pas aidé. » « La création de cette musique était basée sur n’importe quoi de ce que Don connaissait. Comme il n’y connaissait rien en théorie, c’était une réinvention de la musique ». La force de Beefheart était son inadaptation dans un monde fait de praticiens. Son imagination fertile remplaçait son manque de connaissance instrumentale et d’oreille musicale. Il la partageait en jouant du piano d’un doigt, en sifflotant ses idées ou en les enregistrant sur un dictaphone. La plupart des morceaux ne demandaient même pas de répétitions ; ils commençaient quelque part et finissaient ailleurs, sans jamais rien réchauffer. Il venait un flot ininterrompu d’idées à Beefheart dont la plupart étaient exploitées en direct, un peu comme s’il était le seul transistor à capter un genre de signal que personne n’avait reçu avant lui.
Pendant un concert, il alla voir le bassiste et claviériste Eric Drew Feldman au milieu d’une chanson et lui cria un titre et deux phrases d’une chanson à laquelle il venait de penser. Il lui disait « Tu devrais retenir ça, ça va valoir beaucoup d’argent pour toi et beaucoup pour moi ».


Si sa vitesse de progression hors du commun lui a permis de développer sa discographie à une allure impressionnante, elle a été la cause de bien des souffrances en studio. « Il était constamment en train de créer et une fois qu’il trouvait quelque chose, ça y était et il passait à autre chose. Pour revenir en arrière et revisiter, c’était très difficile. » Cette aversion à répéter faisait que Beefheart ne préparait pas ses concerts. Il n’avait cependant pas de mal à impressionner grâce à une voix puissante et une improvisation de tous les instants : « Le même cul qui a fait traverser à l’homme les déserts du temps lui a aussi donné le hamburger idiot» beugla t-il une fois.


Accidents


Le guitariste Denny Valley reste fasciné par la manière dont Beefheart parvenait à ses fins.  « Il ne pouvait pas s’exprimer en termes musicaux, mais d’une manière ou d’une autre, presque savamment, il vous donnait une partie de guitare qui semblait complètement barrée, et ensuite en donnait une différente à l’autre qui n’était même pas dans la même tonalité. Mais quand on les mettait ensemble ça marchait et ça se terminait exactement au même moment. Ca arrivait encore et encore, ce n’était pas juste le coup d’un essai, genre j’ai-de-la-chance. Comment expliquez-vous ça ? » Le résultat était tel qu’il le voulait ; ambitieux, avant-gardiste, irritant et irrésistiblement fun.


Sur le papier, un disque comme Trout Mask Replica était un vrai désastre. Et du processus pour en faire l’incroyable objet de culte qu’il est devenu, aucun des membres du Magic Band n’en est sorti indemne. Le manque de sommeil et les « traitements horribles » que Beefheart faisait subir au groupe étaient loin de correspondre au charmant Don Van Vliet, l’autre face de la personnalité du Captain. Cette tyrannie donne à sa musique la touche qui la différencie ; toujours sur un bord ou l’autre.


Il y avait toujours de l’électricité, de la tension dans l’air, et elle finissait par épuiser psychologiquement tous les musiciens au contact de Beefheart. Il compara une fois cette tension palpable à l’image d’une « femme penchée au dessus d’une baignoire, avec les mains dans l’eau chaude et portant des chaussons roses et duveteux ».


Peinture


Mais on imagine bien que n’importe quelle image psychotique aurait fait l’affaire, l’essentiel étant de montrer qu’il avait bien des images en tête quand il enregistrait de la musique. Le surréaliste Trout Mask Replica est bien le signe d’un esprit où se bousculent des visions choquantes ; et il semble que cette richesse se soit peu à peu tarie par la suite. Comme d’autres avaient le pouvoir des mélodies ou des mots, ce sont les images qui animaient l’esprit créatif de Beefheart, et à travers elles, les couleurs. Il se comportait exactement comme s’il allait peindre un tableau, et il savait de quoi il retournait puisqu’il passa plusieurs années de sa vie  à peindre, après s’être retiré de la musique au début des années 1980.


Ces couleurs pouvaient éventuellement donner, dans la pratique musicale, différentes voix. Beefheart cherchait à faire en sorte que ces voix, qui n’existaient peut être pas dans sa tête mais naissaient dans le résultat audible de sa pensée, se contredisent entre elles pour donner un bourdonnement caractéristique, fait d’éléments chromatiques bien différents qui s’entrechoquent.


Paroles


Les mots sont souvent oubliés alors qu’ils font partie comme sa musique du langage unique de Beefheart. Il avait un talent à écrire de la poésie, avec certaines paroles proches d’éclats de conscience et d’autres capables de capter l’Amérique surréaliste présente avant lui dans le folk et le blues. Dachau Blues et Veteran Day’s Poppy sont deux chansons notamment anti guerre. Il laisse une myriade de poèmes, de paroles de chansons et d’écrits divers. Il a demandé à sa femme Joan de brûler après sa mort. 

Bertrand Redon

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