“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

dimanche 27 novembre 2011

Magazine - No Thyself (2011)


Parution : octobre 2011
Label : Wire Sound
Genre : Post-punk, Rock alternatif
A écouter : Do The Meaning, Hello Mister Curtis, Happening in English

°
Qualités : sombre, fun, ludique

Ecouter No Thyself est une expérience étrange mais plutôt agréable. Etrange parce qu’on peut avoir l’impression que ce disque soit exhumé d’une autre époque. Magazine, fondé en 1977 après que Howard Devoto ait quitté les Buzzcocks, nous fait retrouver une époque curieuse, que l’on croyait achevée en 1980 avec le troisième album de Magazine, The Correct Use of Soap. Une ère où le papier peint punk décrépit se tentait d’une philosophie existentialiste. Certains des meilleurs groupes, parmi lesquels The Fall et Magazine, se plaçaient, usant d’une imagination sous-estimée, dans des boudoirs imaginaires un peu salaces. Conservant l’énergie nerveuse du punk, Magazine la fit dévier de son axe. Les idoles de la formation d’alors étaient David Bowie, Iggy Pop ou Roxy Music. Mais au lieu de tenter d’imiter Hang on to Yourself ou Seach and Destroy, ils s’inspirèrent des albums plus aventureux Low (1976), The Idiot (1976) ou For Your Pleasure (1973). Ils embarquèrent les fameux synthétiseurs ARP Odyssey et des prétentions théâtrales qui faisaient de leur concerts une coquetterie singulière. Au sein de cette perversion de fond et de forme, dans l’expression la plus directe et la plus crue, Howard Devoto lâchait des mots d’esprit, entre commentaire social et fragments de poésie décalée et psychanalyse tranchante. Magazine était donc un groupe à l’esthétique assez pointue, une mutation aussi avisée qu’azimutée comme seule le carrefour du début des années 80 fut capable d’en produire. En 2011, cela faisait exactement trente ans que le groupe n’avait rien enregistré en studio, et c’est une véritable surprise de constater qu’ils n’ont pas perdu de leur mordant. La musique du quintet reformé, comme les textes, sont excellents.

Manchester, ville d’origine du groupe, a eu une partition distincte à jouer à l’époque ; si le nom de Joy Division, pour ne citer qu’eux, ne vous dit encore rien, il faut vous procurer les deux albums de ce groupe particulièrement important, Unknown Pleasures (1979) et Closer (1980), de toute urgence, et leurs singles ensuite. Avec le même alliage de stupeur et de saillance qui fit de Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, une icône, ces albums sont une pierre angulaire. Il est justement question de Curtis, en termes aussi révérencieux qui caustiques, sur Hello Mister Curtis (With Apologies). Devoto y joue de cette dynamique particulière qui constitue à railler un objet d’influence et à le promouvoir simultanément. « Tu es tellement plus brave que moi/Tu devrais le refaire » moque t-il, se lamentant de façon subliminale à l’idée que Curtis ne puisse pas ‘le refaire’. C’est la vieille guerre Joy DivisionBuzzcocks qui ressurgit avec empathie.

No Thyself est dévoué à l’exercice de l’’encore’, recherche une fraîcheur, et semble s’écrire comme la dernière partie d’un concert déjanté. « One last time/with too much meaning », chante Devoto. C’est pour lui un exercice de style difficile ; recomposer, sans sombrer dans la redite, autour des thèmes sinistres et avec l’humour distancé qui a fait sa réputation. « L’histoire ne se répète jamais vraiment/Mais elle rime bien souvent » chante t-il sur Holy Dotage. Et force est de constater, même s’il est entouré d’un groupe légèrement recomposé, que chacun met tout en œuvre pour s’inscrire scrupuleusement dans la continuité de ce qui s’est passé 30 ans auparavant. Les textures sont presque les mêmes, les musiciens émulent, à la fois propres et bizarrement sur la brèche, prennent parfois de nouvelles directions timides - comme sur Physics, où un orgue Hammond accompagne un Devoto plutôt grave : « Religion, it was not meant for everyone. » Une phrase comme celle-ci donne par ailleurs l’impression que Magazine s’inscrit à la fin d’un cycle, à la fin de l’ère religieuse par exemple, suspendu à un artifice malicieux. En se plaçant après tout les reste, il empêchent quiconque de les inscrire dans une histoire révolue et de les prendre pour une simple reformation.

« Parmi les thèmes, les gens doivent s’attendre à du sacrilège, de la pornographie », annonçait Devoto dans Mojo quelques mois avant la sortie de l’album. Other Thematic Material est de ce genre, mais le reste du contenu est plus comme une mise en abime moins confrontationnelle. A bientôt 60 ans, entre flegme et impératif, le chanteur adresse sa propre mortalité. La plupart des chansons contiennent des lignes aussi caustiques que limpides sur le sujet. The Worst of Progress…, Holy Dotage, Of Course Howard (1979) ou Final Analysis Waltz sont auto-dépréciatives et moqueuses, éveillant dans leur évocation du déclin physique, leur dualité sentimentale, une vraie force. L’amusement que met Devoto à travailler son cliché rencontre sur Hello Mister Curtis une chute hâtive, inspirée d’une ligne de The Who : “I hope I die before I get really old”.

samedi 26 novembre 2011

Creepoid - Horse Heaven (2011)


Parution : février 2011
Label : Ian Recordings
Genre : Psychédélique, Dream folk, Rock alternatif
A écouter : Staircase, Grave Blanket, Find You Out

°
Qualités : envoutant, intimiste, pénétrant

A l’origine de ce disque de rock psychédélique soigné, un groupe de quatre jeunes résidents de Philadelphie, une femme et trois hommes, se présentant comme DIY (‘Do It Yourself’) et très soudés. Leur nom est un peu sordide : Creepoid (To creep, c’est ramper, et un ‘creep’ est l’équivalent du cafard de la Métamorphose de Kafka appliqué à l’univers du rock indé' depuis que Thom Yorke écrivit une chanson portant ce nom en 1992). Leur aventure commença avec un EP, Yellow Life Giver (2010).
« En décembre 2009, il y a eu une tempête de neige majeure en Philadelphie. Je vis à Manayunk, et nous nous sommes tous fait coincer chez nous par la neige. Un de mes bons amis, Sean Miller [le chanteur et guitariste du groupe] est resté bloqué chez moi tout le week-end. Nous avons écrit et enregistré des morceaux durant ces deux jours, sur un 4-pistes. Nous les avons joués à quelques amis, et ils étaient genre 'Vous devez absolument diffuser ça !' Nous avons fait ce disque sans même penser à former un groupe. Mais après que le simple soit sorti en avril, nous avons tourné, et vers le mois d’Août nous avons pris la décision de nous poser et de commencer à écrire et à enregistrer un nouvel album avec l’intention de tout faire par nous-mêmes. » racontera Pat Troxell, la batteur du groupe interrogé par le Webzine local The Key. Malgré leur volonté d’indépendance totale, il finirent par s’en remettre à Kile ‘Slick’ Johnson pour la production, connu pour son travail avec Wavves ou Modest Mouse entre autres.

A Philadelphie, dans une scène musicale qui semble s’améliorer de manière exponentielle, Creepoid propose avec Horse Heaven une exhalation puissante et originale, capable d’imprimer sa marque loin des barrières de la ville. Il est facile de ressentir en Horse Heaven l’aspect pluvieux et froid tel que Pat Troxell l’évoque lorsqu’il décrit la nature du climat à Philadelphie. Le mauvais temps affecte selon lui l’humeur d’une scène réputée pour ses groupes extrêmes. Le tempérament des musiciens de Creepoid est loin de répondre à cet aspect local. Ils dégagent une tranquillité certes assez pesante, sur laquelle se jouent les ambigüités placées au cœur de leur musique. Comme celle-ci, les musiciens semblent à la fois retirés et chaleureux.

Et le calme parfois troublant qui caractérise le plus souvent leurs chansons se transforme parfois en déflagration sonore inattendue. Tout dans Horse Heaven semble obéir au même fil de création, jouant sur la fragilité de leur interprétation étirée distendue, prise de torpeur parfois. Le travail sur les textures, subaquatiques et métalliques, est remarquable. En ouverture, Wishing Well pose le ton pour le reste de l’album, créant une atmosphère étouffée, aux tonalités indus, qui demeurera intacte jusqu’au remarquable couple de chansons final. Enabler fait venir à l’esprit le terme épique, démarrant dans une atmosphère effacée, nébuleuse, avant de laisser culminer les sombres humeurs de l’œuvre, à parts égales de sauvagerie que de complaisance. Cette chanson devait normalement terminer l’album en apothéose, mais a été échangée à la dernière minute avec le morceau-titre. Il glorifie quant à lui la tristesse, teintée d’une belle lumière, dont le groupe nous envahit aussi au détour de méditations telles que Hollow Doubt ou Grave Blanket. On pense aux plus grandes dépressions de Radiohead, Exit Music par exemple. Comme eux, et avec un sens des réalités qui évite tout mélodrame, Creepoid recherche la justesse plutôt que la perfection.

Les paroles, difficilement intelligibles, du duo chantant Sean MillerAnna Troxell, n’enlève rien au pouvoir d’évocation de l’album. Le groupe affiche ici autant de détachement que de verve. Troxell fait penser à Patti Smith sur un titre qui évoque la poétesse du rock libre jusque dans son titre : Spirit Birds. On songe aussi à Elisa Ambrogio, et au morceau qui clôturait Balf Quarry en 2009, l’hypnotique Shells. Miller semble aussi décontracté qu’étrangement affligé, fonctionnant comme le reste dans un dynamique de demi-teinte, entre mélancolie et dynamiques vitales.












vendredi 18 novembre 2011

Laura Marling - A Creature I Don't Know (2011)




Parution
septembre 2011
Label
Virgin
GenreAuteur, folk
A écouter
The Muse, The Beast, NIght After NIght
°
QualitésFéminin, doux-amer, intimiste ,ambigu

A Creature I Don’t Know explore ainsi de nouveaux territoires, tout en revisitant certains des endroits familiers à la jeune blondeur anglaise.

Son émancipation prend des tours symboliques lorsque Marling monte sur la scène du festival de Glastonbury devant 20 000 personnes au moment de la sortie de ce disque, à l’été 2011. Son parcours fut semé de pareilles surprises, d’actes de bravoure paraissant presque trop grands pour elle, comme le fait d’avoir été nominée Best Female Solo Artist quand elle fit paraître son deuxième album, le déjà remarqué I Speak Because I Can (2009). Avec l’impression de rêver, elle fit une chose nouvelle pour elle ; écouter le disque qu’il l’avait propulsée, par bouche-à-oreille, là où elle se trouvait alors, un peu en deçà de là où elle est aujourd’hui. Comptant Paul Weller ou Neil Young parmi ses admirateurs, et si elle rend la pareille à ce dernier en éprouvant – tout comme son ancien groupe, Mumford & Sons - un mini complexe vis-à-vis d’artistes folk américains forcément plus authentiques, elle est loin de se rattacher à un seul modèle. A la fois Joni Mitchell et Fiona Apple, Led Zeppelin (III) et Léonard Cohen ou Johnny Cash (imaginez seulement Night After Night chantée par l’homme en noir) elle est capable de s’investir dans des archétypes musicaux existants en leur rendant une belle richesse harmonique. C’est ce qui fait le succès d’un morceau tel que Sophia, choisi comme premier simple. Ce serait la rendre trop saisissable que de s’en tenir à ces quelques structures, car l’essence de Marling est plus complexe. « Aucun de mes héros ne sortent de singles. La façon dont les gens sont promus et vendus me rend malade ». Il peut s’avérer vain de chercher en Laura Marling une artiste qui a les pieds sur terre.

Le principal souvenir qu’elle garde de son lieu d’enfance est de n’avoir pas réellement trouvé sa place : « Tout ce que j’aimais était la musique, et écrire, et lire. Et je n’avais pas beaucoup de gens pour partager cela. » Elle a altéré la vérité de sa propre existence, lui a donné un aspect littéraire. Une vérité à la fois déconnectée et en prise avec des drames qui ont réellement eu lieu pour d’autres personnes et, dans un détour de langue, pour elle. Le nom d’une de ses chansons, Salinas, est une référence aux Raisins de la Colère, de John Steinbeck ; un roman qui confine au journalisme, et prompt à inspirer le genre de scénarios sociaux réalistes qui existent au sein des chansons de Marling. Il leur manque seulement d’être palpables.

Très jeune, la chanteuse était déjà fascinée par Joni Mitchell. Cela semble naturel qu’elle s’attèle, à défaut de véritable chaleur humaine, à rechercher sa force dans les évocations de romances sans âge. Peut-être s’interroge t-elle, après plusieurs déconvenues personnelles, de ses raisons, en particulier de ses raisons en tant qu’artiste, à chercher l’amour. The Muse, derrière son canevas de piano et de guitares enlevé, a cette ligne : « Don’t you be scared of me/I’m nothin but the beast/And i’ll call on you when i need to feast ». Elle reconnaît que c’est un genre de blague. Cette chanson en évoque une autre, The Beast, pièce centrale de l’album qui appelle elle-même une troisième chanson. « Calling Sophia goddess of power». Il y a un jeu de faux semblants, de miroirs à l’œuvre, un peu d’un monde fantastique à tiroirs – chose naturelle lorsqu’on se souvient que Marling a beaucoup lu.

Ce genre d’humour complexe, qui positionne Marling comme prédatrice, efface encore davantage la ligne entre ce ce qui la concerne directement et ce qu’elle formule à bonne distance à la manière d’un poème séduisant mais empoisonné. A Creature I Don’t Know est une exploration de désirs et de pertes, sublimement suggérées par Marling, avec une assurance qui la retient souvent d’établir une relation avec l’auditeur ; elle semble tout à la fois intime et distante. Le succès et la sincérité de A Creature I Don’t Know réside dans l’habileté de Marling à endosser un rôle qui n’est pas tout à fait elle, mais un prolongement de son être, une extension en forme d’ectoplasme de sa chair.









The Fall - Ersatz G.B. (2011)




Parution : Novembre 2011
Label : Cherry Red
Genre : Post-punk
A écouter : Taking Off, Nate Will Not Return, Mask Search

°
Qualités : groovy, intense, rugueux, ludique

C’est peut-être le 29 ème album de The Fall, mais les raisons de les apprécier sont toujours bien présentes, et chaque fois légèrement différentes. Le groupe est réputé depuis longtemps pour la raideur salutaire de son leader, Mark E. Smith. Le plus rude des anglais, et l’un des plus généreux si l’on considère le nombre de formations qu’il a inspirées de sa seule personne. The Fall est encore inamovible dans sa cinquième décennie d’activité. Imperial Wax Solvent (2008) a ouvert une nouvelle ère pour une nouvelle incarnation du groupe. Alors que Smith était réputé pour ne pas garder ses musiciens plus d’un album, la mouture 2011 est peut-être le mieux représentée par la présence de Elena Poulou, la femme de Smith depuis 10 ans. Claviériste et chanteuse, elle tient un rôle important sur Ersatz GB, où, comme sur l’album précédent les claviers gras ont pour les grooves cycliques, chargés en entêtants la même importante que les guitares. Elle est aussi au micro sur Happi Song, une pièce surprenante au milieu du paysage d’Angleterre désintégrée que constitue le reste : The Fall incompris. « if i can see and you can see/why cant they see » Mais l’habitude du groupe à tirer à demi-mots sur tout ce que Smith trouve ringard surnage même là, lorsque Poulou évoque la nouvelle génération folk anglaise type Mumford & Sons. Pas de quoi faire oublier combien l’album est jouissif par ailleurs.

Ersatz GB est intense, martial parfois. La voix de Smith y est le plus souvent étranglée, autant pour de cigarettes que d’expérimentations personnelles sur son énonciation. Sa voix est l’élément central chez The Fall. Et si les paroles sont la moelle épineuse de chacun de leurs disques, et qu’elles sont décryptées par les admirateurs anglo-saxons du groupe (on les voit sur des forums échanger quant à ce que Smith a réellement dit dans telle ou telle chanson) elle sont portant problématiques.

Autant dire d’entrée que l’admiration que l’on peut porter au travail de Smith sur ses textes est une relation à sens unique. Premièrement car l’utilisation de forums ne suscitait récemment que le dédain de Smith, qui s’attaquait aux réseaux sociaux en stigmatisant l’obsession du ‘tout partage’ comme la nouvelle perversion de la classe moyenne (Certains se demanderont s’il s’agit d’une attitude archaïque, ou tellement démodée qu’elle en devient de l’avant-garde). Smith laisse le dénigrement, des relations personnelles sordides et l’auto-promotion (Smith évoque Hot Cake, un morceau de leur précédent album, sur Nate Will Not Return) à la disposition de son public, comme des lambeaux de chair sur des os pour le chien. Le plus gros de ces textes n’est qu’incohérences qui rappellent à quel point Beefheart était poète. Mais si l’on avance avec pressentiment – une démarche naturelle lorsqu’on est confronté à un phénomène tel que The Fall – on comprend que le groupe dresse à dessin un rempart d’incohérence, tournant l’incompréhension de l’auditeur (particulièrement attentif à l’égard de ce groupe, malgré ou grâce à l’effort que met Smith pour rendre sa prononciation ambivalente) en un autre de ces artifices, qui font qu’on mange dans leur main.

La voix de Smith y est le plus souvent étranglée, autant pour de cigarettes que d’expérimentations personnelles sur son énonciation.

Mark E. Smith et le groupe durcissent le ton peu à peu, grinçant des mécaniques et dénonçant le déclin de leur nation. Le son est infectieux, un groove gangrené amenant son propre combat et n’en ressortant que plus triomphant. On passera vite sur les soupçons d’auto-complaisance évoqués plus haut en appréciant combien Smith sait s’adresser à une nation tout entière, comme il le fait depuis toujours, avec ce biais ravageur, cette colère, cette angulosité qu’il est difficile de prendre à revers sans se retourner sur soi-même. Il fait souvent le punk soutenu par la dynamique d’un groove poussé jusqu’à sa limite, et c’est pour cela que les formats métronomiques du krautrock (particulièrement Monocard), la sévérité allemande et l’aspect progressif de la musique du groupe lui conviennent aussi merveilleusement. Qui dit groove dit basse, et elle est excellente sur Taking Off ou Mask Search. Quelque pièces, plus concises enlevées, ressemblent à un rockabilly bourbeux – Cosmos 7, Mask Search et sa ligne déjà fameuse : « I’m so sick of Snow Patrol / and where to find Esso lubricant and mobile number.” Greenway est presque heavy metal, comme une version amateur de Metallica avec un Lou Reed affamé au chant. Comme souvent, Smith changera de registre au cours du morceau, récitant à sa manière puissante et beuglant en vieil agitateur, tour à tour. Ersatz GB ne stoppe jamais pour un regard en arrière, mais construit et démonte successivement à grands coups de théâtre. Smith est plus divertissant, voire comique par moments, qu’il ne voudra jamais se l’avouer. C’est tout le malheur et le génie d’être un gentleman anglais de sa trempe à faire ce qu'il fait.





dimanche 13 novembre 2011

Gary Numan

La pochette pour Replicas, le second album de Tubeway Army (le premier, éponyme, est paru un an auparavant), en raconte sur le chanteur et parolier de ce trio de la fin des années 70, le londonien Gary Numan. On l’y voit raide et blanc, parfaitement ambigu avec ses habits noirs, ses ongles peints et son reflet doué d’une vie autonome dans le carreau. A l’extérieur de la fenêtre à l’anglaise, une enseigne lumineuse, ‘The Park’, en référence à l’une ses plus belles compositions. Une vision longuement murie, même si l’on sait depuis que plusieurs aspects du personnage public de Gary ‘Numan’ Webb sont issus d’accidents. Il en va ainsi de son teint blafard, imposé à l’origine par les maquilleurs au moment de l’entrée en scène du chanteur à l’émission de Top of the Pops, quand celui-ci, agé d’a peine 20 ans (il est né en 1958), avait le visage couvert d’acné. Quant à son image comme héros d’un univers de science fiction glauque, elle n’est d’après lui pas tellement justifiée. « Pour être honnête, je n’ai jamais écrit qu’une poignée de chansons qui étaient connectés à la science-fiction. L’album Replicas, ou des morceaux de cet album, une ou deux choses sur The Pleasure Principle et sur Telekon » (1979 et 1980).

Cette période fut brève – deux ans – mais féconde – trois albums - , marqua l’histoire de la pop synthétique et prépara la voie pour des groupes qui deviendraient de grosses machines quelques années plus tard : The Human League, Duran Duran ou Depeche Mode. Replicas, présentant à l’auditeur un monde dérivé de la nouvelle Do Androïds Dream of Electric Sheeps de Philip K Dick (1968, elle inspira aussi le film Blade Runner à paraître en 1991) est pourtant un disque particulièrement personnel, dont le matériau a failli donner un livre autonome de la main de son créateur, et qui représente pour beaucoup de « numanoïds » (les fans auto-proclamés de Gary Numan à l’époque) sa meilleure incarnation à ce jour.

Nous avons une sombre trame où les humains sont maintenus en captivité par des machines (ou 'machmen') pour le compte d’une autorité invisible. Numan aura d’autres occasions de paraître menaçant, et notamment en 1994 et après une décennie de malheur artistique, avec Sacrifice. Mais il n’est en réalité que victime de la trame qu’il a créé ; plongé sur Replicas, par sa volonté, dans un vide affectif, comme le sera plus tard l’un de ses sbires, Marilyn Manson. C’est un simple humain, car c’est de ce point de vue que se passent les choses les plus intéressantes, que les sentiments peuvent être aliénés, changeants. Outre K.Dick, on pense à J.G. Ballard, Burroughs, Kafka, et Numan se range par les thèmes aux cotés d’autres groupe new-wave (entendre de punk synthétique), Devo et Kraftwerk (voir Trip Tips 2). La ‘trilogie berlinoise’ de David Bowie et en particulier Low et des morceaux comme Speed of Life et Breaking Glass l’inspirent beaucoup. La manière dont Kraftwerk ou le duo Bowie/Brian Eno traitaient les instrumentaux – les uns avec un Neon Lights mélancolique et poétique (sur The Man Machine, un autre grand disque où ils est question de robots), les autres avec le sépulcral Warszawa par exemple – le fascinent à juste titre. Sur scène, il introduit l’extravagance héritée du glam rock (Bowie, Marc Bolan…), mélangeant comme Adam Ant punk et excentricité, entre Ziggy Stardust et saveurs nouvelles.

Dans l’imagination du jeune musicien, les claviers gras et les boîtes à rythme primitives prennent une tournure résolument originale. Un balancement de goule se reposant fortement sur des mélodies tournoyantes, s’inscrivant dans une dynamique rock. « You know i hate to ask/but are friends electric ?/Only mine’s broke down/And now I’ve no-one to love. » C’est Are ‘Friends’ Electric, où le personnage s’interroge sur la qualité de sa prostituée, humaine ou robotique. Le simple fut un succès majeur en Angleterre, où le retentissement de l’artiste se fait encore sentir au moment de son nouvel album soigné mais consensuel, Dead Son Rising (2011). La suite de l'album continue dans la veine rock n’roll, particulièrement mélodique et plein de fêlures volontaires ou non. Le timbre de voix de Gary Numan est aussi de ces artifices dignes d’entrer dans l’histoire de la pop musicale de son pays, pour le moins ; capable d’insuffler vie et mouvement à ses mises en situation claustrophobes, d’y projeter l’ombre d’une dérision. Dans un monde d’ambigüité et de paradoxes, cette ironie le rend plus fort.

Au moment de la sortie de ce disque, Gary Numan devient le leader incontesté de Tubeway Army, un groupe qui va bientôt imploser pour laisser place à une incarnation solo dans laquelle Numan va peu à peu prendre de l’épaisseur, laisser sa sensibilité et sa personnalité s’exprimer, d’abord dans le dédain – avec son chef d’œuvre The Pleasure Principle, et l’anti-star system Telekon. S’il devait n’en rester qu’un, ce serait ce Pleasure Principle. Un disque montant en puissance et en qualité au fil des morceaux, un simple parfait, Cars, un groupe ressoudé autour de son chanteur et un riff létal, Metal. Commercialement parlant, c’est l’apogée : Telekon, malgré sa qualité et sa plus grande complexité, ne fera qu’annoncer le malaise artistique de Numan pendant les années 1980 (Dance (1981), I, Assassin (1982), Warriors (1983)), alors qu’il tente – notamment en montant son propre label, Numa – de renouveler l’intérêt de son public. Cette crise passe aussi par la décision de se retirer un temps de la scène. Il faudra attendre le milieu des années 1990, et quelques figures acrobatiques dans l’un des ces avions de la Seconde Guerre que Numan pilote à l’occasion d’exhibitions dans toute l’Europe, pour qu’il décide d’exprimer à nouveau des sentiments plus personnels à travers sa musique, plutôt que de tenter chaque année une nouvelle invasion ratée des classements de ventes.

Son romantisme particulier et son humour un peu noir demeurent cependant comme une marque indélébile, capturés dans Down, in the Park, chanson paranoïaque culte qui donne sens à cette fichue enseigne lumineuse : 'Down in the park/Where the machmen/Meet the machines/And play ‘kill-by-numbers’/Down in the Park/With a friend called ‘Five’. Plutôt que chanson nihiliste, Down in the Park est l’un de ces éclairs empathiques que Gary Numan a laissé en héritage à tous ceux qui le respectent et qui l’inspirent. En témoigne la belle version interprétée par le pianiste Mike Garson lors d’un concert de Nine Inch Nails en 2009. Durant la même tournée, Numan en compagnie d’un Trent Reznor reconnaissant les morceaux Cars, Metal ou I die : You Die. L’influence que Reznor reconnaîtra à la musique de Numan, qui n’est pas tellement plus âgé que lui, est réciproque : Numan citera Closer, tiré du concept album The Downward Spiral (1994), de Nine Inch Nails, comme chanson favorite. Avec Beck, Tricky, Damon Albarn ou Queens of the Stone Age invoquant sa légende, à l’approche de la cinquantaine Gary Numan prend la main sur tous les aspects, visuels aussi bien que musicaux, de sa carrière.










vendredi 4 novembre 2011

Marnie Stern - Marnie Stern (2010)



Parution : octobre 2010
Label : Kill Rock Stars
Genre : Expérimental, Pop
A écouter : For Ash, Risky Biz, Cinco de Mayo

°
Qualités : feminin, groovy, audacieux

Pendant longtemps, la New-Yorkaise Marnie Stern ne faisait que s’entraîner à la guitare, cinq, dix heures par jour, perfectionnant son propre style expérimental en autodidacte. « C’est pour cette raison que mon jeu et mon son sont si étranges », remarque t-elle, interrogée par Emilie Denis pour New Noise Magazine. Elle reconnaît moins pratiquer aujourd’hui, se concentrant sur la composition de chansons. On pourrait dire qu’elle se repose sur ses acquis s’il s’agissait d’une autre personne ; mais entendre les arpèges incandescents qui naissent les deux mains sur le manche de sa Gibson, et réaliser soudain la richesse émotionnelle de ses chansons.

Stern fut journaliste, fit 400 petits boulots avant qu’elle ne décide de prendre la musique au sérieux. C’est à la force du poignet, après cinq démos envoyées tous les ans entre 26 et 30 ans, qu’elle intégra le label Kill Rock Stars (Deerhoof, Decemberists, The Gossip…) avant d’enregistrer son premier disque ; une affaire abrasive mais pleine de refrains mélodiques. Vocalement ce sera quelque part entre Debbie Harry, Karen O des Yeahs Yeahs Yeahs ou Joan Jett. In Advance of the Broken Arm (2006), sera remarqué par le New-York Times comme « l’album rock n’ roll le plus excitant de l’année ». C’est un titre de trente mots qui introduisit le deuxième, paru en 2007. This is it… confirmait la formule, ambitieuse, pleine d’humour et de changements de temps, de Stern. Puis elle fit semblant de recommencer ; présenter sous son propre nom, et rien de plus, son meilleur album à ce jour, incroyablement dense et mieux écrit encore. « Je pense que j’ai beaucoup progressé en termes de composition, je suis bien meilleure pour structurer mes chansons maintenant. »

Ses chansons sont des exercices cathartiques qui lui permettent de retrouver toujours avec la même passion le plaisir de jouer vite des mélodies percutantes et transformation incessante. C’est un mélange jouissif à la fois complexe et séducteur, tourmenté mais euphorisant - un tour de force difficile amené presque entièrement d’une seule main. « Ces contrastes sont en moi, c’est comme si j’avais deux personnes qui se battent pour prendre le dessus, l’une joyeuse et l’autre complètement déprimée, une confiante, l’autre mal à l’aise, une qui veut aller vite, l’autre qui veut ralentir, une qui veut du détail, l’autre du dépouillé. C’est une lutte constante. » Pour toute la frénésie mélodique et technique dont fait preuve l’album, c’est l’émotion qu’il contient qui rend Stern la plus fière, le fait que son disque reflète des aspects de sa personnalité. Certaines lignes en affichent la substance profonde : "...I got something in my soul/pushing me to hold on to the pain...." sur Risky Biz, For Ash qui évoque le suicide d’un ex. Si l’album est en effet sophistiqué, c’est par l’aspect de ses textes qu’il est le plus habile ; difficile d’afficher une vulnérabilité avec autant de succès alors même que Stern exulte presque à chaque instant de ces 34 minutes. Mais une chanson aussi puissante, compacte et intuitive que For Ash semble capable de transcender toutes les émotions.

Stern assume ne pas aimer revenir en arrière. Son album est projeté dans un univers des plus contemporains, et c’est comme si elle avait intégré cette équipe aux côtés de Hella, Lightning Bolt ou Deerhoof, certaines des formations les plus innovantes – et rythmiques - de ces dernières années. Au cœur de cette école, la formule semble éprouvée maintenant que Marnie Stern a fait paraître cet album. La prochaine étape ? Un vrai travail de groupe avec son batteur préféré, le sur-actif Zach Hill. C’est l’une des figures musicales importantes de la scène américaine actuelle, non seulement parce qu’il sait comment réinventer la pratique de son instrument, mais pour ses qualités de compositeur, et ses des idées sur la façon dont peut sonner un album en 2010, par opposition à la manière dont il doit sonner. C’est étonnant d’entendre à quel point la façon de composition de Stern – saccadée, changeante, intense – se retrouve dans les propres travaux de Hill, que ce soit avec Hella (The Devil Isn’t Red) ou plus encore en solo avec Face Tat (2010). « Je compose en amont, seule, mais je connais son jeu et je l’intègre dès les premiers stades, je sais anticiper et je sais comment son style s’imbriquera ensuite. De toute façon mon travail est très rythmique, tout repose sur les cassures, les changements. »

mercredi 2 novembre 2011

Amon Tobin - ISAM (2011)


Parution : mai 2011
Label : Ninja Tune
Genre : Musique électronique, Expérimental
A écouter : Journeyman, Goto 10, Lost & Found

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Qualités : original, ludique, soigné

Le montréalais Amon Tobin se dirige vers un endroit inexploré de la musique électronique, offrant à écouter avec ISAM le résultat de ses recherches sonores incessantes. L’ordre d’ici, rare pour de la musique, est celui de la nature ; en son sein, chaque élément entretient une multitude de relations, dans un environnement proche, puis un peu plus lointain et ainsi de suite, jusqu’à former cet « ordre naturel » qu’on ne peut cerner qu’en étudiant longtemps certains des éléments dominants qui le composent. On s’attache aux formes les plus remarquables, et Tobin, en liant l’artisanat de l’échantillon sonore à celui de la synthèse sonore, en a façonnées quelques-unes pour sa collection.

Car il s’agit bien d’une collection particulière. Tobin a fait un énorme travail pour susciter, puis pour identifier et reproduire certaines sonorités. S’inspirant de son expérience de capture de sons d’ambiance, il a reproduit la perméabilité, l’interaction de ces sons en les tirant de son imagination. Ce sont des frétillements, des craquements, des glissements, et quelques beats qui rappellent de l’héritage dubstep de l’ensemble. Il y a ces fameux frémissements d’ailes, sans doute l’une des marques de fabrique de l’artiste. Il fait ainsi preuve d’une fascination pour les sons isolés qui s’unissent et produisent un moment de vie, nous propulsent tout simplement au cœur des évocations de cette nature de synthèse. L’effet seulement est d’une grande simplicité ; les mécanismes déclenchés pour y parvenir sont complexes. Moins complexes que les systèmes naturels, mais suffisamment pour flatter l’oreille humaine.

ISAM est ainsi un disque assez abstrait, mais dont la musique, d’une qualité sonore exceptionnelle, tridimensionnelle, est capable de surgir, ses éléments revêtant un pouvoir d’attraction, de séduction même, décuplé, comme sous une lentille de microscope. C’est un musique très dense, qui ne laisse jamais en attente, mais demande au contraire une attention de tous les instants, et des écoutes répétées. Comment assimiler Journeyman, le morceau d’ouverture par exemple ? Il faudra l’étudier, avec une minutie rare et un plaisir certain. Un tel morceau montre bien à quel point Tobin ne semble vouloir de mélodies que comme des plaisirs coupables, inattendus. On ne les attend pas ; Tobin fait croire à l’auditeur qu’il tente quelque chose, qu’il accomplit une improbable transition, et que son disque lui-même n’est qu’un travail inachevé. Goto 10, dont la structure est plus familière (on pense à Autechre), prouve que ce n’est pas le cas, mais que Tobin s’autorise la disparité par goût. Ce que l’on aura entendu jusqu’à Calculate, est très cohérent. Lost & Found domine aussi cet ensemble pluriel.

Il faut y retourner pour en saisir les arrêts, les nouvelles directions prises, les pauses, les ralentis, qui rarement s’acheminent vers un modèle spécifique. Et les plongeons, tels ce Dropped From the Sky en final, décontracté, sur lequel Tobin assume clairement le simple plaisir d’enregistrer les sons qui lui plaisent le plus – les voix de synthèse sur ce titre sont le péché mignon de l’album.

ISAM est des plus divertissants et originaux, sans que le genre ‘électronique’ ne soit particulièrement important à revendiquer. Le disque incite d’ailleurs à se mettre à la place de Tobin, qui, à ce stade de sa carrière, une quinzaine d’années après ses débuts et alors que sa trilogie fondatrice Bricolage (1997), Permutation et Supermodified (2000), se libère de sa dépendance à un genre musical et aux techniques, telles l’échantillonnage, que les années ont rendues bien traditionnelles. Foley Room (2007) son précédent album, tentait de lier une musique « purement basée sur la sculpture sonore" et "des morceaux capables de provoquer l’émotion physiquement chez les gens ». C’est six mois de travail pour apprendre à utiliser un nouveau logiciel. Le talent particulier de Tobin est de faire de cet objectif très ambitieux un plan de carrière plus que valable. Il s’est mis, entrainé par le label renommé Ninja Tune, à récolter un beau succès.

Sur Foley Room déjà, les meilleurs morceaux étaient aussi les plus aventureux : Horsefish ou Big Fury Head, parce qu’ils parvenaient à nous faire oublier la démarche progressive de Tobin pour simplement subjuguer. Il est parfois difficile de définir quels nouveaux territoires ISAM explore, mais il semble que sur les plan des émotions, c’est une nouvelle félicité qui est exprimée, notamment dans le dernier tiers de l’album, moins déconstruit, et un morceau comme Bedtime Stories. Les étranges expérimentations de Tobin sur le territoire vocal, par lesquelles il change de genre, ne sont pas les moments les plus convaincants mais ajoutent à la contemplation, brisée et reconstruite, qui s’installe peu à peu sur le disque.
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