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James Vincent MCMORROW

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Trip Tips - Fanzine musical !

vendredi 20 juillet 2012

Sharon Van Etten





"J’ai décroché un job chez Joe, un petit restaurant Italien de Times Square. Trois heures après le début de mon premier service, j’ai été relevée de mes fonctions quand j’ai renversé une assiette de veau sur le complet en tweed d’un client. Consciente de n’avoir pas d’avenir dans la profession, j’ai abandonné ma tenue – à peine tâchée - avec les talons compensés dans des toilettes publiques. Cet uniforme blanc, ces chaussures blanches, ma mère m’en avait fait cadeau, c’est en eux qu’elle avait placé ses seuls espoirs pour mon bien-être. Ils étaient maintenant comme des lis fanés, abandonnés dans un évier blanc. » C’est le New York de Patti Smith, celui qu’elle raconte dans son roman autobiographique Just Kids (2010).
Au seuil de l’enregistrement de son troisième album, Tramp (2012), il y a chez Sharon Van Etten le romantisme des rues de New York, des restaurants, des hôtels et des chambres de fortune. Une errance a donné son titre à l’album, ‘clochard’. Tramp est aussi le récit d’un nouveau départ et de rencontres avec d’autres troubadours qui sont à la New York d’aujourd’hui ce qu’étaient les fréquentations du Chelsea Hotel à Patti Smith. Il y a une difficulté persistante à vivre en ville avec des aspirations de bohème. Sharon Van Etten a réussi d’un seul élan, s’élançant avec effort, ces 3 dernières années, pour devenir l’une des meilleures. Une chanteuse folk-rock à l’aura magnétique, à la voix puissante et subtile, capable de polariser l’attention sur sa musique.
Comme Patti Smith, Sharon Van Etten abandonne la « tenue » propre aux petits boulots pour donner cours à sa passion pour l’art et la création, au risque d’une déception future. C’est un cursus dans une université du Tennessee qui est le déclencheur. Elle reconnaît l’importance qu’a joué l’apprentissage de la composition harmonique classique, même si elle décidé à l’époque de quitter l’école – école et musique ne se sont jamais vraiment conciliées dans son esprit. Elle regagne provisoirement le foyer familial dans le New Jersey (état au nord de New York) pour pouvoir se consacrer exclusivement à la musique… et à ses proches.
« C’est difficile de revenir chez ses parents quand on a dépassé la vingtaine… mais ils ont été très encourageants. » Les 4 ou 5 années suivantes seront consacrées à épauler les artistes d’une maison de disques locale, Ba Da Bing (qui a vu passer les très recommandables Comets of Fire, Shearwater ou Six Organs of Admittance) pendant leurs tournées. Elle écrit et joue des chansons pendant la nuit, et finit par attirer l’attention de Kyp Malone (l’un des deux chanteurs du groupe au succès international Tv in the Radio), qui l’aidera à faire ses classes au sein de la scène locale.
Pour ce qui est du petit ami, Sharon Van Etten a eu moins de chance que Patti Smith. Le musicien immature qu’elle avait rencontré dans le Tennessee la découragea pendant toute la durée de leur relation - 5 ans - d’écrire des chansons qu’ils trouvait trop intimes. Smith eut quant à elle une relation longue et constructive avec Robert Mappelthorpe, le célèbre et tourmenté photographe réputé pour ses photos en noir et blanc et ses nus masculins. Ensemble, ils avaient bravé la pauvreté, s’étaient mutuellement entraînés à créer, à faire fleurir l’imagination de presque rien – magazines pornographiques pour l’un, poèmes de Rimbaud pour l’autre. Quand son premier album, Horses, paraît, en 1975, Smith est une femme familière à l’acte de créer. Elle a franchi une étape en mettant ses poèmes en musique, tandis que sa passion pour les arts plastiques est mise de côté. « Elle a une voix si reconnaissable, s’enthousiasme Sharon Van Etten lorsqu’on la questionne quant à l’influence de Horses sur sa propre musique. Elle chante toujours de façon presque parlée, très grave et rauque mais jamais vraiment fragile. Elle apparaît toujours très forte et émotionnelle sans paraître en faire trop, et son groupe est très agressif sans être bordélique. » «Pissing in the river (une chanson sur Radio Ethiopia, 1976) est l’une des chansons les plus incroyables que j’aie jamais écoutées, ça parle de bouger à New York et, au moment ou je l’ai entendue elle avait beaucoup de sens pour moi. Patti Smith ne faisait pas réellement de musique au moment de ce disque. Tout le monde l’encourageait à en faire pendant qu’elle galérait simplement pour s’en sortir, et qu’elle n’était même pas sûre de pourquoi elle était là. J’ai lu Just Kids quand j’étais en train de travailler sur Tramp, et je sous-louais une chambre proche de là où Patti vivait avec Robert Mapplethorpe . J’ai pu imaginer ce à quoi ce quartier ressemblait à la fin des années 60, début des années 70. »
Bien plus forte
A la sortie de son premier album, Because i Was in Love (2009), Sharon Van Etten a été comparée un peu paresseusement à d’autres chanteuses de sa génération. « Des artistes telles qu’Alela Diane, Marissa Nadler, Jana Hunter et Mariee Sioux, ont produit de la musique de qualité avec une belle constance, et ont placé un standard assez haut pour ce soit difficile de s’aligner lorsqu’on débute. Pourtant, sur son premier album, la chanteuse de Brooklyn Sharon Van Etten prouve qu’elle a l’expressivité et les qualités d’écriture pour soutenir le pas de ses compagnes.» Comme Marissa Nadler, c’est vrai, Sharon Van Etten adresse des sujets biographiques avec une part égale d’assurance et d’étrangeté. Sa voix est aussi extraordinaire que celle de Nadler; léthargique, large de spectre, avec quelque chose d’un ancien envoûtement. En outre, elle est moins vaporeuse, plus affirmée.
Une tournée avec Meg Baird fit entrer Van Etten dans le giron d’Espers, un groupe de folk fantasque amené par un visionnaire du genre, Greg Weeks. Il produira Because I Was in Love. Sur ce disque, le chant, la guitare de Van Etten ne seront réhaussés que d’occasionnels éclats de cymbales, d’orgue ou d’harmonies vocales. La chanteuse y est encore très directe et personnelle, marquée par la relation qu’elle vient de traverser. Elle semble interpréter ses chansons comme confrontée, en face à face, à un amant ou à un ami, chaque phrase ou presque usant d’un tutoiement indéfini. Les nuances dans sa voix permettent de tempérer la fragilité émotionnelle des chansons. Elle a conçu avec cet album un microcosme dont elle va peu à peu se libérer. Cette libération est consommée avec les chansons Tornado ou Consolation Prize et prend de l’essor sur l’album suivant, Epic (2010). Ce disque de 30 minutes, enregistré en 3 semaines avec un véritable groupe et non plus seule, semble toucher au solstice là où Because i Was in Love nous décrivait le printemps de l’artiste. On y découvre des chansons plus pleines et intenses, à l’image de DSharpg ou One Day. L’expérience du concert est encore plus vibrante (voir les vidéo filmées au festival de Bonnaroo en 2011)
Certains préfèrent toujours Because i Was in Love car sa réserve, son intimité en font un disque plus traditionnellement folk que ceux qui suivront. «L’album Because Was in Love était plus timide et hésitant à tous points de vue. J’ai écrit certaines des chansons pour Epic juste après, sur ma lancée, mais j’étais déjà beaucoup plus à l’aise avec ma personne, et j’étais plus sereine vis-à-vis de ce qui se produisait. Je me sentais bien plus forte », témoignera t-elle après la sortie de son second album. Elle a passé 5 ans avec le mauvais mec, trop persuadée qu’il allait finir par se réconcilier avec sa propre vision à elle, pour finalement se rendre compte qu’il fallait qu’elle passe à autre chose. Ce que certains trouvent étrange, sombre, voire dangereux dans Epic n’est en réalité que l’éclosion d’un tempérament plus affirmé.
Time is on my Side

Les 3 albums de Sharon Van Etten ont été écrits sur une période courte, et un certain flou chronologique entoure toutes ses chansons. Il y a celles écrites avant New York qui semblent déjà tendre à une nouvelle vie, à de nouvelles amours, et celles écrites plus récemment, une fois Van Etten installée en ville, qui offrent des méditations plus adultes, telles celles qu’elle a aimé lire chez Patti Smith. Lire Just Kids a fait comprendre à Sharon Van Etten qu’écrire était comme encapsuler le temps. « Quoi que vous écrivez, vous y êtes vraiment connecté, et vous pouvez toujours revenir, dans votre esprit, à ce dont il s’agissait. » C’est la possibilité de voir sa vie sous forme de différentes séquences, à travers des lieux visités, des relations amicales et intimes, qui fonde une carte trouble mais passionnante. Avec Tramp, son troisième album, les frontières New-York ne suffisent pas à cette déambulation vitale. Une tournée européenne enrichit son répertoire comme s’il s’agissait de vignettes dans un album – mais de vignettes qui plutôt que de servir de souvenir capturent un temps toujours présent, celui du sentiment à l’origine de chaque chanson. Warsaw, par exemple, a été écrite en Pologne, pendant une tournée ; Give Out après un autre concert… Chaque lieu a une énergie distincte, et écrire en mouvement a contribué au son de l’album. « Je craignais que ça ne devienne un disque trop schizophrénique parce que j’étais si dispersée, mais finalement, c’est devenu l’un de ses points forts. »
 Van Etten embrasse tous les temps avec une grâce rare, avec une élégance un peu perdue aujourd’hui. Elle sait se montrer candide quant à l’instant présent, se vouant à la plénitude, sans arrière pensée sur son premier album : «mon orteil touche heurte légèrement le tien/Ton pied frôle ma cheville en retour/je n’ai besoin que de cela. ». Il est question d’amours qui naissent, qui ont duré, qui se terminent ; lorsqu’elle chante une ancienne relation, elle dégage une appréhension nouvelle, toujours ce désir d’être acceptée, d’être appréciée. En écrivant au présent elle prépare l’avenir ; c’est ainsi que des chansons écrites pendant l’enregistrement d’Epic vont être réinvesties pour Tramp. Dans une écriture généralement réflexive et temporelle, le présent est le temps des chansons les plus intenses, Crime par exemple : «To say the things I want to say to you would be a crime/To admit I’m still in love with you after all this time.» Le présent est d’une intensité punitive, sur Tramp : « Tu aimes t’accrocher à tes rêves », assène-t-elle. En quelques années ses expériences ont varié. Elle a depuis sa première relation appris a faire durer ses amours en chansons, en leur ajoutant les commentaires qui la préparaient à une vie future ; elle semble aujourd’hui plus à même de laisser les sentiments les plus palpables prendre le pas sur sa vie plutôt que sur sa musique. Dans un élan naturel, son art va en se renforçant, en trouvant de nouvelles ramifications à travers les amitiés les plus fortes, en participant à son propre épanouissement plutôt qu’à celui de ses albums. « Mais avec le temps, ça m’a fait aimer, ça m’a fait aimer lus fort », chante t-elle sur Love More, la chanson qui a donné, de manière inattendue, une nouvelle dimension à sa carrière.
Pour Tramp, album subséquent à sa signature avec la maison de disques Jagjaguwar, Van Etten a utilisé des chansons éparses. Epic avait été enregistré en 3 semaines, Tramp en plusieurs mois. Ce disque profite d’une écriture affirmée, mais semble aussi être le moment ou les chansons lâchent prise sur la vie réelle, où ces 2 mondes cessent de n’être que miroirs pour évoluer comme 2 entités distinctes : l’art et la vie quotidienne des sentiments. «It’s bad to believe in any song you sing," chante t-elle sur I’m Wrong, privant parfois les chansons d’entretenir un lien trop évident à la vie réelle. Elle exprime ainsi sa volonté de ne pas en faire un travail autobiographique. Elle marque un retrait, desserre sa prise sur ses textes : «We got to loose sometimes» sur We Are Fine. Les mélodies vocales superbes, habitées de Tramp et les refrains saisissants annoncent un triomphe intime, émancipent la chanteuse de la domesticité. D’abord peu encline à revivre des sentiments forts, Van Etten a reconstruit enfin, une aventure vigoureuse sur laquelle elle multiplie les prises de vue, usant de gravité et malice. Des postures qu’elle semble emprunter à l’une de ses influences majeures ; le célèbre canadien à qui elle a dédié l’une de ses plus belles chansons, Leonard. Ces chansons marquent les étapes de son ouverture propre, en plus d’être des commentaires globaux. A propos de Give Out : « Elle parle de déménager à New York, de tomber amoureuse à nouveau, de s’ouvrir à l’extérieur et de redevenir vulnérable. C’est effrayant de retomber amoureuse !
nouvel élan
Chez Patti Smith, le Chelsea Hotel des années 70 est une expérience bénie, où demeure une impression de fraternité, d’ébullition artistique. Les musiciens New-Yorkais semblent depuis lors graviter autour de la légende de cet hôtel et de ses excès. Les amis de Van Etten balisent les séquences de sa vie. Ils alimentent son travail, l’encouragent, jouent pour elle, reproduisent ses chansons. Ils se font en quelque sorte les relais d’une histoire qui était encore, il y a peu, très intérieure et semble progressivement s’échapper d’un livre encore à écrire. A travers ses amis, Van Etten se met soudain à vivre à New-York, même lorsqu’elle est ailleurs, en tournée. Des types barbus insiste pour lire ses poèmes, des adolescentes expriment le besoin d’être à ses côtés et d’autres plus agées s’étonnent qu’elle ne soit pas lesbienne. Ils le reconnaissent tous, c’est le genre de personne qui fait naître un élan irrépressible de tendresse, de protection, une envie de rendre service.
Bon Iver faisait paraître en 2008 For Emma, Forever Ago. Le magazine Rolling Stone le qualifia de « l’un des meilleurs albums de fin de couple de tous les temps », et en regard de la chanson Skinny Love on comprend bien pourquoi. « And I told you to be patient/And I told you to be fine/And I told you to be balanced/And I told you to be kind". La tonalité triste des morceaux de cet album, dont le retentissement aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde fut exceptionnel pour un album de folk, sera largement transcendée dans son second album, simplement appelé Bon Iver (2011).
La force émotionnelle de ses disques ont directement interpellé Van Etten, et de nouvelles perspectives s’ouvriront pour elle lorsqu’elle apprendra que Vernon, en compagnie d’Aaron Dessner, joue en concert une reprise de Love More, la dernière chanson bouleversante sur Epic. Portée par un nouvel élan, elle contacte Dessner, qui est trop heureux de se proposer de produire son nouveau disque. Son propre studio d’enregistrement, non loin de là ou Van Etten sous-louait une chambre, servira quasiment de nouveau domicile à la chanteuse. C’est l’histoire la plus connue quant à l’enregistrement de Tramp : la relation de Sharon Van Etten avec Dessner, le chanteur du groupe New-Yorkais The National – un groupe inspiré par l’indie-rock, l’americana et la brit-pop que le bouche à oreille a fait exploser avec High Violet, mais dont les plus beaux faits d’armes sont sans doute Alligator (2005) et Boxer (2007).
Écrire et jouer ne rapporte pas beaucoup d’argent, mais il n’était pas question pour Sharon Van Etten de retourner vivre chez ses parents. Pendant 14 mois, elle dormira successivement chez plusieurs amis ou dans des sous-locations. Sa nature un peu anxieuse et son manque d’attaches ont suscité des textes intenses. Ecrire en tournée, enregistrer sans chez-soi l’a obligée à restreindre ses méthodes de composition, sans imaginer quel souffle allaient prendre ses compositions, une fois sa nouvelle ‘famille’ constituée.
Matt Barrick (Walkmen), Jenn Wasner (Wye Oak) Zach Condon (Beirut), ne sont qu’une petite partie de l’extraordinaire entourage de musiciens qui participeront à étoffer ses chansons les plus récentes. La voix de leurs propres groupes est largement audible jusqu’en Europe et en France. Avec ou sans eux, le temps du concert revient rapidement pour Sharon Van Eten. «Prétendons que c’est le bonheur, s’amuse t-elle en jetant un regard pétillant aux musiciens qui l’accompagnent. 5 ou 6 ans plus tôt, ces mots auraient peut-être sonné comme désespérés ; mais ce soir, à New York, tandis que fans, journalistes et pontes de l’industrie musicale l’observent en train d’interpréter son nouvel album en entier, elle tourne à l’euphorie la peine, le stress, la colère qu’elle a pu porter. Le fait qu’elle se saisisse ensuite d’un ukulélé ne fait que souligner la légèreté dans son coeur.
« c’était le meilleur groupe de New-York », écrira Patti Smith en commentant un concert du Velvet Underground. John Cale, du tendem Cale/Lou Reed à l’origine du Velvet Underground, a produit Horses. Sharon Van Etten s’est directement inspirée d’un album solo de Cale, Fear, pour le visuel de Tramp. La ressemblance est frappante ; même si sur le visuel au verso de la pochette, Sharon Van Etten n’est pas prostrée comme Cale, mais le buste dressé, de face, fière.

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