“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

Qualités de la musique

soigné (81) intense (77) groovy (71) Doux-amer (61) ludique (60) poignant (60) envoûtant (59) entraînant (55) original (53) élégant (50) communicatif (49) audacieux (48) lyrique (48) onirique (48) sombre (48) pénétrant (47) sensible (47) apaisé (46) lucide (44) attachant (43) hypnotique (43) vintage (43) engagé (38) Romantique (31) intemporel (31) Expérimental (30) frais (30) intimiste (30) efficace (29) orchestral (29) rugueux (29) spontané (29) contemplatif (26) fait main (26) varié (25) nocturne (24) extravagant (23) funky (23) puissant (22) sensuel (18) inquiétant (17) lourd (16) heureux (11) Ambigu (10) épique (10) culte (8) naturel (5)

Genres de musique

Trip Tips - Fanzine musical !

samedi 29 septembre 2012

Beth Orton - Sugaring Season (2012)





Parutionoctobre  2012
LabelAnti-
GenreFolk
A écouterMagpie, Somethng More Beautiful, Candles
OO
Qualités

Chronique à suivre. Je vais essayer de l'interviewer, pour le seul plaisir de rencontrer cette fabuleuse artiste folk.

En concert le jeudi 15 novembre à la Gaieté Lyrique. (Paris)

Ryan Bingham - Tomorrowland (2012)




Parutionseptembre 2012
Label
GenreAmericana, Rock, Country-rock
A écouter
O
Qualitéslucide

Junky Star (2010) a valu à Ryan Bingham la reconnaissance – à moins que ça ne soit d’avoir enregistré la chanson The Weary Kind pour le film Crazy Heart. C’était le disque qu’il avait en tête de faire depuis qu’il a commencé à enregistrer, au milieu des années 2000. Un producteur de renom, T Bone Burnett, habitué à côtoyer les grands de la musique roots américaine, que Bingham a rencontré lorsqu’il a été sollicité pour le film ; un label d’exception, Lost Highway, réputé aussi bien pour l’inévitable Lucinda Williams que pour de charmantes découvertes (avec en 2012 HoneyHoney et son album Billy Jack et Hayes Carll et son KMAG Yoyo (& Other American Stories), deux albums que je vous recommande chaudement. Enfin, sur Junky Star, les Dead Horses, un backing band intéressant que Bingham avait pris la peine de créditer ostensiblement. En délaissant groupe, label et producteur, Tomorrowland fait table rase de cet épisode glorieux de la carrière de Bingham - qui, étant né en 1981, en a sans doute beaucoup d’autres devant lui. Il se présente davantage comme le disque qu’il avait besoin de faire pour repousser les limites de son univers sonore somme toute conventionnel. Il élargit un peu sa palette en adressant directement l’inspiration que lui procurent les plus authentiques légendes plutôt que d’émuler le cliché qui lui a valu d’éclipser Jeff Bridges sur le propre terrain de son personnage de fiction, Bad Blake, dans Crazy Heart.

Tomorrowland est produit par Bingham lui-même, qui a crée une société avec sa compagne, Axster Bingham Records. Il a notamment beaucoup réfléchit aux différentes sonorités de guitare – et elles sont nombreuses, toujours pleines, profondes, luxueuses – qu’il souhaitait employer pour brosser un tableau sonore vaste et saisissant, même si ce n’est pas aussi saisissant qu’il l’aurait voulu. «Une des choses importantes c’était d’essayer de faire un disque qui soit passionnant à jouer en concert, avec de plus gros sons de guitare. J’ai davantage emprunté la voie électrique plutôt qu’acoustique. J’ai eu plus de temps pour expérimenter et travailler quant aux sons que je souhaitais obtenir.»

Bingham est un artiste qui voyage, et ce qu’il observe lors de ses excursions inspire sa vision sans concession d’un pays en grande partie abandonné. Comme le suggère le titre, l’avenir se situe d’abord dans la résolution des fractures géographiques. C’est l’asservissement, l’isolation, l’exploitation des campagnes par les industriels et le regard condescendant des grandes villes qui oublient qu’elles font partie d’une nation abîmée, et ne peuvent prétendre préparer le terrain de demain si elles s’isolent de la réalité de la nation à laquelle elles sont liées. Voyager chasse la cynisme, et permet d’entrevoir un vrai changement. Sur Western Shore, « You gotta run and stare so you could feel the change », chante Bingham dans une chanson qui se prolonge six minutes durant, inclut 12 cordes et mandoline et tente de capturer la dramatique dualité entre désespoir et volonté d’éveiller les consciences de nouveau. Les combats dans lesquels le sang est versé pour la justice sociale doivent trouver des échos dans les ‘signes invisibles de la démocratie’ qui sont partout dans les paysages, dans chaque arbre debout - et que chaque puits pétrolier, chaque forage, chaque prise à parti irrespectueuse de la terre repousse. Beg for Broken Legs s’engage sur le terrain d’un militantisme saisissant. « “I ain’t gonna stand in line/Beg for bread from up off the floor….”

Plus convaincant dans les moments les plus étirés et déchirants, Flower Bomb, No Help From God et Never Far Behind (cette dernière étant peut-être le pic émotionnel de l’album), Bingham fait malheureusement durer plusieurs chansons trop longtemps. Mais Tomorrowland est facile à aimer malgré ces longueurs. La voix du chanteur, accablée, plaintive, brisée, traversée de l’enthousiasme des dernières chances, des derniers concerts et des derniers verres pour la route, est toujours puissante, établit sa présence et captive depuis le sursaut enjoué de Heart of Rythm (une chanson power-country amusante à propos d’amour et de rock n’ roll), où elle se dégage, comme pour un nouveau départ, jusqu’à la catharsis journalistique et presque physiquement douloureuse de Rising of the Ghetto, qui, placée au centre de l’album, semble être une tentative superflue de capturer toute l’essence du propos de Bingham. Enfin, a quelques foulées de la fin, avec Never Ending Show, Bingham renoue complètement avec le personnage du film qui a fait de lui une quasi-star : un homme qui a cramé toute son énergie sur la route. « It's nothing else out here for me to be/In the never ending show”. Bingham ne succombe jamais à ses grandeurs musicales délibérées, ni au sentiment de la médiocrité ambiante, et c’est ce qui donne à Tomorrowland cette force intérieure.

jeudi 27 septembre 2012

Lightning Bolt - Oblivion Hunter (2012)





Parutionseptembre 2012
LabelLoad Records
GenreNoise rock
A écouterKing Candy, Fly Fucker Fly
O
Qualitésspontané


La plupart des groupes finissent par tomber dans le consensus inévitablement tendu quand trop de musiciens utilisent les mêmes techniques et finissent par arriver aux même fins, ne faisant plus que se croiser et produire des albums se ressemblent tous les uns les autres.
Et il y a Lightning Bolt, l’un de ces projets un peu fous que son approche musicale interdit de ressembler à quiconque. Avec une élémentaire simplicité et beaucoup d‘astuces tenant presque du bricolage, une basse au son kaléidoscopique et une batterie vitaminée par des procédés électroniques, et aussi avec une façon de jouer qui emprunte aux formes improvisées aussi bien qu’à l’insistance hypnotique de la musique électronique, Lightning Bolt se démarque. Wonderful Rainbow (2003) puis Hypermagic Mountain (2005) alliaient densité de barrage et grande diversité de son et d'ambiances. Ils exploraient des plans musicaux sophistiqués à travers leur force compacte et leur fureur punk, segmentale et élémentaire, féroce, accérée. On ne se rend pas toujours compte de la finesse du séquencement, du découpage, du modelage musical à l’œuvre, mais on admire sans réserve possible Lightning Bolt pour leur endurance, leur héroïsme instrumental, ici le mieux illustré par treize minutes de fusion ininterrompue sur World Wobbly Wide. Une constante : écouter dans quel chaos leurs morceaux naissent, puis meurent, en dit aussi beaucoup sur ce qui les rend fascinants.
Si par le passé on a pu détecter des bribes de musique metal ou d'autres musiques chez Lightning Bolt, Oblivion Hunter, une compilation d’exercices cataclysmiques et transcendantaux enregistrés en 2008, n’est plus une question de genre musical, mais simplement de noise music. C’est une affaire de production – ou plutôt de son absence - un disque qui vous tétanise par ses textures brutes, un maelstrom dans lequel les talents du duo sont livrés au gâchis et au chaos tout en dessinant parfois des chemins de traverse toujours inventifs. Oblivion Hunter est souvent si convaincant qu’il parvient à éviter d’exsuder la frustration, dans une pratique qui consiste pourtant à forcer l’auditeur à l’écoute de titres mal enregistrés, abandonnés par moments à la recherche d’une apogée sonique qui n’est peut-être pas atteinte.
Avec son air de démonstration, de phase préparatoire, Oblivion Hunter capture la spontanéité du duo en concert et nous projette au cœur de la jubilation que constituent ces moments de franche camaraderie, de l’avis général de ceux qui ont pu en vivre. Il nous oblige parfois à tendre l'oreille pour trouver les syncopes ultra-rapides de Brian Chippendale à la batterie, instrument sur lequel il se tient coude à coude avec Zach Hill. Au démarrage de Fly, Fucker, Fly, on s'attend à ce qu'MC RIDE (Death Grips) nous prenne à parti. Cette chanson, la plus formée de l'album, contient des mots presque intelligibles de Chippendale. King Candy et Oblivion Balloon imitent aussi la forme de vraies chansons. Leurs riffs métalliques et la voix soigneusement délayée de Chippendale évoquent une fois interprétés la façon brutale d'un doppelganger sournois tentant de tromper une proie. Lightning Bolt a une ombre tapie au fond, quelque chose de caverneux qui ne se manifeste qu'au plus fort de sa stridence, de sa frénésie.
On avait autrefois du mal à croire que la musique ne soit truquée par des moyens électroniques ; avec Oblivion Hunter, la réalité de sa conception saute au yeux plus rudement que jamais. Leur musique vous hypnotise plutôt que de vous assommer, et vous fait fouiller, toujours davantage, les tréfonds de la bataille qui se joue et qui consiste sur le papier pour l'un des deux protagonistes à harasser l'autre, à le pousser dans ses derniers retranchements. Ce n'est que lorsque le duo joue pour de vrai, comme ici, que viennent interférer, de surcroît, des esprits venus d'un autre monde, ou alors une tempête de cerveaux télékinétiques .

mardi 18 septembre 2012

Dinosaur Jr. - I Bet on Sky (2012)





Parution
septembre 2012
Label
PIAS
Genre
Rock alternatif
A écouter
Watch The Corners, Pierce the Morning Rain, What Was That
O
Qualités

Puissance, vulnérabilité, grâce : deux de ces adjectifs définissent le grunge, genre que Dinosaur Jr. a contribué à inventer dès le milieu des années 1980. Le troisième ne s’applique qu’à eux, et encore, seulement depuis qu’il ont fait ce geste passionné de recommencer à enregistrer ensemble après des années à ne plus vraiment se supporter. C’était en 2005, Dinosaur Jr passait alors pour un groupe reformé, capable certes de sortir un album, mais ensuite ? Aujourd’hui, aillant franchi le cap en enchaînant sur les 60 minutes brillantes de Farm en 2009, ils sont un groupe pareil à n’importe quel autre, engageant des tournées régulières et enregistrant des albums qui repoussent subtilement les frontières de ce qui définit leur son. La différence de taille, c’est qu’après 27 ans, et alors que les Rolling Stones étaient à ce stade de leur carrière entre deux albums oubliés, Steel Wheels et Voodoo Lounge, la musique de Dinosaur Jr est toujours viscérale et leur âme intacte. Ils ne cherchent pas à presser toute l’inspiration hors du fruit ni l’épuiser vainement, mais prennent le temps de construire des albums construits, intéressants, sensibles, cohérents.

Même s’il ne dépasse jamais vraiment les frontières de la formule établie il y a longtemps, I Bet On Sky, plus court et donc plus digeste que son prédécesseur, explore doucement de nouveaux tempos, de nouvelles textures, et s’écoute avec plaisir, ne serait-ce que pour sa dynamique. De longues ballades électriques à la mélancolie intense, ponctuées en fin de face (sur le vinyle) par les compositions plus urgentes de Lou Barlow bassiste au demeurant qui apporte, ni plus ni moins, sa touche ‘Sebadoh’ (un groupe qu’il a contribué à créer dans l’intervalle) pour changer épisodiquement le ton d’I Bet On Sky.

La voix sourde, nonchalante de J Mascis offre un contraste avec l'énergie coruscante de sa guitare, par le biais de laquelle il entre parfois en communication imaginaire avec ses héros, de Neil Young – pour s’en convaincre, écouter l’épique See It on Your Side qui sonne un peu comme un chanson de Zuma (1975) - à Kirk Hammett, virant presque systématiquement en un solo final chaque fois plus émotionnel et toujours différent. Groupe singulier qui, s’il enchaîne les numéros de guitare et les chansons à tiroirs, ne paraît jamais prétentieux, mais presque humble au contraire, se retrouvant naturellement là où il a toujours été.

La grâce de Dnosaur Jr est dans l’habileté de J. Mascis à écrire des mélodies et des textes qui s’adressent directement au cœur de son public, assurant à Dinosaur Jr. une jouvence prolongée, les rendant capables de conquérir un nouveau public en plus de satisfaire leurs fans anciens. Ceux qui ont aimé Green Mind (1991) et le tour plus doux que prit la musique du groupe au milieu des années 1990 vont en particulier apprécier I Bet On sky. Ce pourrait être une version réactualisée et moins unilatérale de

Entendre des claviers sur Don’t Pretend You didn’t Know, peut surprendre, mais c’est finalement l’une des choses les plus gratifiantes sur cette chanson assez répétitive qui se termine par une longue plainte d’overdrive là où Watch The Corners ou I Know It Oh So Well cherchent plus clairement à vous faire frissonner tout au long de leurs propres solos. Elle sont aussi façonnées avec plus de contrastes que le premier jet. Les franges mélodiques et ambiantes de Don’t Pretend You Didn't Know souligent directement le ton toujours émotionnel employé par J. Mascis, alors plus minimaliste dans son chant que jamais, puisque sa chanson tourne beaucoup autour d'un seul mot : waiting. What Was That prouve une nouvelle fois que si Mascis est plutôt passif comme chanteur, l'intensité du travail effectué sur les guitares, et la production, qui donne ici à certains coups de caisse claire le son du tonnerre, fait mieux que d'assoir le morceau. « Someone said i should see you». cette nature vulnérable est encore plus flagrante sur Almost Fare : «You tell me where to go, shall I meet you? I don't know". Les morceaux de Barlow ne trouvent pas immédiatement leur place, mais de toute façon pour le novice Dinosaur Jr peut apparaître comme un groupe en conflit avec lui même. Injecter deux doses de doute, avec abandon, ne peut qu'ajouter au charme de l'album. « Look what I’ve done, didn’t make the best of that one / I arrived feeling sure and ended up all insecure”

samedi 15 septembre 2012

Interview Ry Cooder : . "Est-ce vraiment possible ? Oui, ça l'est, il suffit de le voir de cette façon".


Traduit du quotidien britannique The Guardian.uk

A l’approche des élections, la scène artistique américaine semble plutôt molle et complaisante. Tandis que l’on célèbre le centenaire de la naissance du protest singer Woody Guthrie, Cooder montre qu’on peut vivre en 2012 et partager l’intransigeance et la ferveur d’avant l’avènement des styles de vie, des médias sociaux et des autres machines à tourner en rond. "Est-ce vraiment possible ? Oui, ça l'est, il suffit de le voir de cette façon", affirme un grand guitariste au grand coeur de la musique américaine.

Devrait t-on penser que Mitt Romney est le moins pire des candidats dans les rangs Républicains ?

Non. Romney est aussi mauvais qu’on puisse l’être. C’est un homme dangereux. C’est un homme cruel. [Cooder justifie cette cruauté dans sa chanson Mutt Romney Blues, où il raconte que le candidat a attaché son chien dans un cage sur le toit de sa voiture et l(y a alaissé pendant 12 heures de voyage]. C’est la parfaite créature qui incarne tout ce qu’est le parti républicain. C'est-à-dire, un capitaliste rapace. Quiconque a été à la tête de Bain Capital (une firme de capital-investissement qui a racheté des centaines d’entreprises avant de les spolier) ne peut être bon. Tout ce qu’ils font c’est violer et piller le territoire. C’est ce qu’il a fait à la tête de Bain Capital et c’est ce qu’il continuera de faire. Le comble c’est qu’il puisse promener tout le monde en faisant croire que c’est un bon businessman. Et son visage - ce grand sourire – est jovial mais vide. Les gens sont tellement désespérés. Ils n’ont pas le temps de faire des recherches et remonter l’histoire de cet homme. Et les républicains le savent. Ce que j’essaie de faire avec les chansons que j’écris, c’est : donnons un autre regard de la situation. Je n’écris pas de livres ni ne donne de discours, mais avec une chanson de quatre minutes tu utilises un allégorie et d’autres moyens pour suggérer un point de vue différent.
C’est comme regarder au coin de la rue, c’est ce que les chansons font parvois. Elles vous frappent d’une nouvelle pensée. Par exemple, j’aime l’idée que les Kock Brothers [propriétaires de Koch insdutries, la seconde plus importante entreprise des Etats Unis, et de groupe de droit conservateurs] aient fait un pacte avec Satan à un croisement de route. C’est frappant car tout le monde a cette image du démon à un croisement de route – certaines de ces chansons en évoquent d’autres.

C’est un peu différent des protest songs des années 60. Pensez-vous que ces chansons n'ont jamais été vraiment efficaces ou est-ce que les temps changent ?

Eh bien, je ne sais pas écrire de la musique de cette façon là. Ce sont des 'soldier songs' pour encourager les gens à aller protester sur la ligne de front. We Shall Overcome, etc. Et on a besoin de ce genre de chansons. Surtout dans l'Occupy Movement [mouvement international contre l'inégalité économique et sociale]. Je pense qu'ils vont avoir besoin de chansons telles que celles-ci, que ça leur sera utile. Ce n'est pas la même pensée musicale. Ce que je vise, ce sont des narrations qui vous introduisent à un personnage, un personnage qui raconte une histoire. Les chansons irlandaises fonctionnent de cette manière. Ou le vieille musique country. Ce n'est pas aussi direct que les protest songs.

Mais vous trouvez tout de même quelque chose d'inspirant dans l'idée de Woody Guthrie et de sa guitare avec le slogan 'cette machine tue les fascistes' écrit dessus ?

Bien sûr. C'était un grand raconteur d'hstoires. Il était parfait. Il avait une forte imagination, et ces chansons... vous pouviez les faire vivre dans votre tête. Il avait un don pour tirer des chansons de toute chose. Il lui arriva de voir le film Les Raisns de la Colère [1940], et il écrivit Tom Joad dans la nuit, cette chanson épique avec tant de couplets. Parce qu'il l'avait vu, il savait comment écrire cette chanson, je suppose. Il a traversé la Dépression et le Dustbowl [période de forte tempêtes dans les années 1930 qui causèrent des dommages importants dans les campagnes américaines et canadiennes] et ça l'a inspiré. C'est toujours bon de l'écouter. A présent, nous l'écoutons de nouveau, au 100 ème anniversaire de sa naissance.

Est-ce une chose qui a été perdue dans l'écriture ? Je me souviens d'une chose qu'a dite Bob Dylan à propos du naufrage du Titanic : dans les mois qui ont suivit, des dizaines de chansons on été écrites pour réconter l'histoire selon différentes perspectives. Aujourd'hui les gens n'attendent pas ça de la musique, ils regardent la télévision.

Je sais. Nos modes de vie ont tout corrompu. Ainsi si vous voulez être musicien vous devez vous présenter comme un démonstrateur d'une sorte de style de vie qui est utile à ceux qui ont besoin de faire la preuve de nos différents styles de vie : pour vendre des fringues, de l'alcool, ou autre chose. Disney a engendré ça. Le vocabulaire de la musique s'en est retrouvé modifié dans les années 1970, et jusqu'à aujourd'hui. Il est davantage question de la personne et ce qu'elle paraît plutôt que ce qu'elle pense ou de quelles sont ses expériences.
Mais malgré cette vitrine commerciale, on commence à voir de plus en plus de personnes qui se remettent à jouer pour exprimer quelque chose. Il leur faut retrouver la manière de s'y prendre, aux jeunes gens. Ils semblent le vouloir de nouveau.

Les médias sociaux ont t-ils un rôle quant à ça ?

Je ne crois pas aux réseaux sociaux - ce n'est qu'une grosse arnaque. C'est une manoeuvre. C'est Orwéllien. Ce petit écran vous hypnotise. Tu vas faire ce qu'il veut que tu fasses. Et que veut t-il que tu fasses ? Que tu envoie des messages à tes amis. Pour dire quoi ? "Hey ! je suis dans le coin !" - et l'autre répond "Je suis dans l'autre coin !" C'est ce que vous écrivez... mais que pensez-vous ? Attendez. Vous ne savez même pas ce à quoi vous pensez et ce que vous ressentez, si ce comportement est votre quotidien.
Ces réseaux sont au crochet de transactions, et ils livrent cette audience massive - à qui ? Je n'ai pas confiance.
Les réseaux ont célébré le Prinptemps Arabe. Au final, les militaires ont pris l'Egypte de toute façon. Qui a dit qu'ils avaient eu une révolution ? Ces militaires néfastes ont débarqué comme ils l'ont toujours fait.

Et la génération à laquelle vous apparttenez... Quand vous regardez en arrière, qu'ont t-ils changé ?

L'idée de changement est sur-estimée. Un vrai changement ça a été Lyndon Johnson proposant le Voting Rights Act. La plupart y était hostile. Les Démocrates n'en voulaient pas, sans parler des Républicains. Ni Eisenhower, ni Kennedy n'en voulaient - mais il fallait qu'ils le fassent. Aujourd'hui, on a des choses du calibre des lois dites de légitime défense - qui sont reponsables de l'assassinat de 80 afro-américains. On revient au lynchage. On reprend Jim Crow et on recommence. Est-ce vraiment possible ? Oui, ça l'est, il suffit de le voir de cette façon. C'est ainsi que je vois les choses. C'est ce que j'essaierai de dénoncer dans mes chansons, jusqu'à ma mort. Ce sont aussi des faits.

Sur le nouvel album, la chanson Cold Cold Feeling représente le président Obama déambulant dans le bureau ovale, dans le noir. Est-ce un homme bon dans une situation impossible ?

Oui, à 110 %. Ils est entouré de chiens. On l'empêche d'agir car les républicains se sont assurés qu'aucun président, ce qui inclut les Démocrates, ne puisse faire le bien. C'est pour cela que Bush a été envoyé, lui aussi : détruire la présidence, et c'est, je pense, ce qu'il a fait. Comment en revenir ? Comment redorer la présidence après ça ? Ils parlent de bipartisme mais c'est un mot creux. Qu'est-ce qu'Obama est censé faire ? Comment peut-il opérer ? Cette histoire de sécurité sociale, c'est vraiment une chose. Ils vont passer derrière et essayer de tout détruire, c'est le plus gros effort de parti Républicain à présent, de couler le Titanic !
Je pense qu'Obama un homme bon, avisé. Il comprend la constitution, et a toutes les chances de la respecter. Pas eux.

Ce disque est t-il né d'un sens du devoir - car il faut bien que quelqu'un réagisse et dénonce - ou d'un besoin de thérapie, pour apaiser votre colère ?

Un peu des deux. J'ai envie de m'exprimer car je pense que vous le feriez si vous le pouviez. C'est un challenge mais c'est aussi amusant. Je prends du plaisir à écrire ces chansons. Sinon, que pouvons nous faire, à part abattre notre poing sur la table ? La colère n'est pas une bonne chose. Ils gagnent beaucoup de temps en vous mettant en rogne. La musique est ma voie. C'est ce que j'ai.

Ressentez vous parfois une lassitude - Y-a t-il la tentation de faire autre chose, comme un disque avec l'équipe du Buena Vista Social Club ?

Premièrement, les old-timers nous ont quitté [plusieurs membres de cette formation cubaine, déjà agés en 1999, sont désormais décédés], ou alors ils sont dans des endroits où je ne peux plus les trouver. Nous sommes en 2012 !
Et la particularité de la musique, c'est que je ne sais jamais d'où va venir la prochaine impulsion. Etant donné que nous sommes cernés de problèmes, dans ces temps instables.... La dynamique c'est d'écrire selon ce qui se présente.

jeudi 13 septembre 2012

Chris Knight - Little Victories (2012)




Ecouter 'Enough Rope', album paru en 2006 :



Parution : septembre 2012
Label : Drifters Church
Genre : Americana, rock
A écouter : Little Victories, You Can't Trust No One, Hard Edge

O
Qualités : engagé

Little Victories est un disque vibrant, simple et direct, qui impose comme une évidence les qualités de l’écriture de Chris Knight. Quand vous venez d’un village de 200 habitants du Kentucky, au sud de la région des grands lacs, et que vous portez comme lui en blason l’espoir, les craintes et l’esprit du rêve américain, la dernière chose que vous souhaitez c’est les circonvolutions. A l'écoute de Little Victories, on ne peut pas reprocher à ce working man de manquer d’opinions.

Il ne fait pas exactement de la politique, mais, comme nous tous à des degrés divers, se laisse gouverner par ses émotions, partagé entre l’intuition que nous devrions nous unir pour accomplir de grandes choses ensemble et celui que l’homme est un loup pour l’homme. Une idée qui ne réclame pas forcément les Démocrates à la présidence, mais qu'importe. Le fait que ces deux sentiments soient présents au sein d’une même chanson, You Can't Trust No One, n’est pas vraiment une surprise. Une chanson n’est jamais meilleure que lorsqu’elle joue sur des ambiguïtés ou des doutes. « I’m not sure what it means », ajoute Knight dans cette chanson. “I’m pretty sure that the government ain’t gonna save you", chante t-il sur In The Meantime, rejoignant le sentiment répandu aux Etats-Unis d’avoir été trahi par tous, et de ne pouvoir compter que sur soi-même. Mais au bout de ces onze chansons aux tons gutturaux, à la production rude, farouchement accrochées à une réalité qui se débat, on en tire un sentiment de force et la certitude qu’en dépit de tout, ces rixes quotidiennes, ces conflits d’intérêts sont racontés parce qu’ils méritent d’être combattus, et souvent le sont déjà.

Chris Knight est doué à reporter ses histoires de petites violences et de grandes injustices, et surtout à suggérer à chacun de prendre soin de soi et de sa famille. "Ma grand-mère a presque atteint 100 ans. J'avais l'habitude de discuter sans cesse avec elle. Elle m'a raconté tant d'histoires que je pourrais baser mes 10 prochains albums seulement sur ma famille." Il fait des portraits poignants qu’il fait de ses semblables, peinant pour gagner suffisamment et pour conserver leurs biens. On peut l’admirer de dresser les vértés économiques de l'amérique rurale, pour son regard sur la condition humaine, avec un sens très visuel de partager ses expériences ; c’est qu’il a jalonné son existence de rites concrets, a appris à observer le monde qui l’entoure après y avoir trouvé sa place. « J’ai du terrain, un cheval. Si le terrain demande à être fauché, je le fauche. J’ai une grange que je suis en train de terminer. Je m’assure que les factures sont payées et amène les enfants là où ils doivent être.»

Chris Knight, la quarantaine grisonnante, entreprend tout d’une main de fer. Pour la musique c’est particulièrement efficace ; rien ne semble pouvoir détourner l’éclat des mélodies, des refrains en chorus, que la guitare électrique éclabousse de rockabilly, que la mandoline habile fait s’émanciper comme des ailes. Même dans les moments plus relachés, comme Nothing on Me, Knight est au cœur de l’action, essuyant plusieurs balles pour avoir essayé d’entraver une bagarre dans un bar. L’album est enregistré presque entièrement en live, sans overdubs, ce qui renforce l’intensité de l’instant.

Même l’apparition de John Prine, son idole, au sein du studio d’enregistrement, et sa participation au morceau-titre de l’album - chanson sur les petits arrangements quotidiens qui laissent le goût d’espoirs fugaces - ne l’a pas impressionné. Il évoque en ces termes le songwriter local, très réputé, qui jongle depuis l’âge de 14 ans entre folk et rockabilly en passant par la country la plus franche. « J’ai appris le finger picking en écoutant ses disques. A part pour quelques chansons de Jackson Browne ou Dan Fogelberg, [le vrai déclencheur de sa passion fut cependant la chanson Guitar Town de Steve Earle en 1986] ce sont majoritairement des chansons de John Prine que j’ai jouées jusqu’à ce que j’écrive les miennes... Sur le coup, j’ai été plutôt calme, je ne lui ai pas demandé des choses que je voulais vraiment demander parce que je ne voulais pas le brusquer. » Knight est de ceux qui, sous leurs airs un peu rudes, abritent compréhension et respect de l’autre, à commencer par les personnages auquels ils consacre son inspiration et ses chansons.


mercredi 12 septembre 2012

David Byrne & St Vincent - Love This Giant (2012)




Parution : septembre 2012
Label : 4AD
Genre : Pop, avant-pop
A écouter : Who, Lazarus, Ice Age

O
Qualités : audacieux

Remain in Light était un album à l’énergie unique autoritaire, extatique, parfois féroce ; le dernier des quatre disques des Talking Heads était parcouru d’une vibration étrange, ne tournant court qu’avec les belles ambiances contemplatives des deux derniers morceaux. David Byrne et Brian Eno, deux visionnaires de la musique pop, deux créateurs ambitieux ; y trouvaient un amour commun pour les contrastes et les assemblages inattendus, que ce soit entre les sons eux-mêmes ou entre la musique et les textes. Comme en témoigne Annie Clark, « David est capable de tant de touches et d’humeurs différentes, et l’une d’entre elle est une combinaison de paranoïa et de joie extatique. » En lui faisant ce compliment, Clark ne se rend peut-être pas compte qu’elle pourrait de la même façon parler d'elle-même ; si ce n’est qu’elle a engagé (sous le patronyme de St Vincent) sa carrière musicale quelques 30 ans après celle du célèbre touche à tout New-Yorkais. Elle continue « David ne semble jamais épuiser son énergie créative. Elle prend de nombreuses formes, mais il n’apparaît jamais nostalgique. Il cherche sans cesse à aller de l’avant. » David Byrne n’a jamais fait deux fois le même album ; sorti de l’arc électrique constitué par les quatre albums qui propulsèrent un groupe d’avant-garde tiraillé entre vague post-punk, new wave et rythmes du monde parmi les formations les plus influentes du rock, ses travaux sont divers sans être dépareillés. Des collaborations récentes lui ont permis d’apporter un peu de sang neuf à son inspiration.

Dernièrement, collaboration est le maître mot chez Byrne. S’il confirme à chaque fois que ‘tout est venu de la musique’ – avec sa façon très personnelle et érudite de s’intéresser aux genre musicaux qu’il décide de recréer – ses projets finissent par impliquer producteurs, musiciens, et jusqu’aux acteurs qui transformeront les fictions de ses textes en pièces de théâtre, puisant dans a vaste diaspora de l’art New Yorkais, où tout le monde le connait et le respecte. Même la mairie, au courant de sa passion pour le vélo, aura fait appel à lui pour illustrer les racks des vélibs new-yorkais. Car Byrne dessine, installe, fabrique : en référence à Léonard de Vinci on l’a appelé ‘the rennaissance man’, ce que même son égo plutôt heureux ne peut supporter.
 
Byrne, ces derniers temps, est plus envahi de joie et de clairvoyance créative que de paranoïa et d’anxiété, des sentiments qu’il a peu à peu relégués en marge de son système. Il peut, avec une lucidité toujours plus neuve voir les nuances qu'il a contribuées à créer, dans la musique des autres. « Je perçois une acception de la mélodie, sans aucune crainte, dans la musique d’Annie, ce qu’elle ne partage pas avec beaucoup de musiciens qui débutent. Mais ces belles mélodies sont souvent sous-tendues par des thèmes glauques et perturbants. » Il a bien cerné son poulain. C’est à elle de se démarquer dans ce qui va être une relation forcément à l'avantage de Byrne : plus d’expérience, et un ascendant sur elle qui fait que lorsqu’on écoute une chanson comme Surgeon sur Strange Mercy on songe aux Talking Heads. Les tics de David Byrne vont de toute évidence avoir le dessus. Pourtant, il a inscrit en lettres d’or quelques règles de collaboration : c’est un travail qui se passe de leader, avec dans lequel les initiatoives que chacun peut prendre sont délimitées à l’avance. Au final, Love This Giant, se rapproche, sans usrprise, davantage d’un album des Talking Heads que de Strange Mercy, le dernier St Vincent. Cette suprématie d’un groove funky qui n’a pas vieilli joue en faveur de l’album, et permet au duo de révéler encore davantage leur approche commune de la musique. Leurs excentricités, leur façon méthodique, leur exactitude, leurs approches stratéguques de l’écriture et leur talent à extraire l’émotion du processus même de création musicale sont des forces conjurées avec un plaisir si palpable à la création de Love This Giant que l’album surpasse la somme de ses talents comme celle de ses moments d’étrangeté et de grâce. Byrne semble revitalisé par l’expérience.
 
Revitalisé mais aussi étrangement tiré vers l’auto-contemplation. Les duos sur Who et Lazarus sont une bonne idée, mais ailleurs chacun chante séparément. Travailler avec Annie Clark est pour Byrne à la fois une bonne idée et un piège ; un piège parce que celle qui a appelé l’un des ses albums Actor (2009) semble prête jouer sa partition comme un rôle au cinéma. Sur cet album, sa présence évasive empêchait l’auditeur de l’identifier aux personnages bizarres qu’elles décrivait ; ici, cela contribue à rendre Byrne plus possédé encore par ces propre idées. Avouer qu’il devrait davantage regarder la télévision tout en préférant se rendre à Walt Whitman (sur I Should Wach T.V.) annonce un maniérisme que le timbre flottant, voire réflexif de clark, s’il est intéressant, ne vient pas contrebalancer. Byrne opère, lui, dans le mode le plus idéaliste, à gorge déployée, ou bien sur le mode d’une étrange conversation (de type “I took a walk down to the park today”, un style adopté dès les Talking Heads). Chacun a conjuré son lot d’images mystérieuses, comme cette ‘statue of a man who won the war’ sur I am a Ape. Comme le reste, nature, télévision, les mots de Whitman deviennent partie d’un mouvement plastique qui trouve son apogée dans la pochette frappante de l’album – une interpretation peronnelle de la Belle et la Bête. Ce n’est pas un hasard si les mots sont aussi surprenants, les histoires aussi excentriques, et que le résultat est à la fois ludique et parfois profond ; à la manière typique et toujours plus raffinée de Byrne, phrases et musique doivent entrer en conversation. « J’ai réalisé qu’écrire des paroles pour ces compositions centrées sur les sonorités cuivrées impliquait que je devais changer mon approche des textes. Les cuivres sont associés à de nombreuses choses – les marching bands, les fanfarres Italiennes, les groupes de la Nouvelle-Orléans, le rythm and blues et le funk. En général, ce n’est pas un sont très subtil, et les mots devaient répondre à cette franchise. »



L’idée de d’enregistrer avec beaucoup de cuivres – saxophone, tuba, - est venue de Clark, et des conditions dans lesquelles les premières ébauches de l’album ont été pensées. Il s’agissait d‘enregistrer un morceau pour l’association caritative New Yorkaise, The Housing Works. Comme ils ne disposaient pas d’une vraie salle de concert, mais d’un local peu adapté, le duo a dû compenser le manque de possibilités logistiques en essayant d’obtenir le son le plus acoustique possible ; l’utilisation de cuivres leur permettait de n’utiliser une amplification que pour les voix et de ne pas nécessiter de console de mixage au moment de performances. Les cuivres ont fini par devenir comme un troisième personnage sur Love This Giant. Et s’ils apparaissent dans une telle variété de textures et d’humeurs, c’est grâce à l’intérêt infini de Byrne pour la musique qu’il perpétue. Il a listé plusieurs groupes, parmi ses favoris, qui chacun utilisent les cuivres de manières différentes. C’est aussi bien le Rebirth Brass Band que Björk, l’Hypnotic Brass Ensemble ou même certaines de ses propres chansons qu’il réinvoque. « Nous voulions vraiment que les cuivres deviennent le groupe, et non pas juste une source de ponctuation musicale comme c’est souvent le cas. Je voulais découvrir de combien de manières différentes nous pouvions utiliser ces sons, afin de différencier les chansons sur l’album. »



Comme pour ses propres disques, Annie Clark s’est saisie à nouveau de Garage Band, et un échange de fichiers s’est engagé, à distance, entre les deux, qui a duré de long mois. « Parfois, c’est Annie qui m’envoyait des versions synthétisées de cuivres ou de riffs de guitares, que j’arrangeais un peu, et pour lesquelles j’écrivais une ébauche de mélodie et des paroles ; d’autres fois c’était l’inverse, c’est moi qui fournissais les idées musicales. Ces bribes jonglaient entre nous. Il y a des chansons pour lesquelles l’un d’entre nous chantait sur la démo, et l’autre finissait par interpréter la version terminée. » Dans l’effervescence de leurs échanges, les musiciens ont veillé à ce que Love This Giant regorge de grooves funk et afrobeat. Weekend in the Dust, Dinner For Two ou Lightning en sont des exemples. Les rythmes électroniques proposés par le producteur/musicien John Congleton ont aussi été un élément déterminant pour transformer ces essais en une collection de chansons pop cohérentes. « Beaucoup de gens, en entendant une description de ce que nous faisions, ont pensé que ce serait un genre d’indulgence artsy, mais à un certain point ça a pris vie différemment. » Ce moment est peut-être venu, lorsque Byrne a impose son talent logistique et fait d’un album bricolé avec des logiciels une réalité. « Nous avons travaillé avec un groupe de très bons arrangeurs, leur donnant les versions midi que nous avions créées avec nos ordinateurs. Ils nous ont fait écouter à leur tour des versions synthétisées des arrangements avant que les véritables musiciens ne nous rejoignent. »  Le résultat final est à la fois engageant et cérébral, parcouru de sonorités grondantes et fauves. C’est ainsi que les Talking Heads devraient sonner s’ils existaient encore, si ce n’est pour ces moments bizarrement optimistes : "Sing along with the one who broke your heart /Sing it loud, it will keep you safe and warm”, sur The One Who Broke Your Heart.

mardi 11 septembre 2012

Ryan Bingham - Junky Star (2010)






Parution
Août 2010
LabelLost Highway
GenreAmericana
A écouterThe Poet, Junky Star, Hallelujah
O
Qualitéssombre, poignant

A la veille d’enregistrer cet album, en trois jours, en compagnie du célèbre producteur roots T.Bone Burnett (récemment aperçu en compagnie de Willie Nelson et John Mellencamp), le texan Ryan Bingham a co-écrit avec celui-ci The Weary Kind, une chanson qui, par les standards du film musical, était bouleversante dans son écrin de luxe. Cet écrin c’est Crazy Heart (2009), film qui ne manquait pas de cœur, même si l’on peut suspecter que c’est entièrement du à la présence de Jeff Bridges donnant l’impression de jouer son propre rôle – Bad Blake, un chanteur de country sur le retour, apparemment incapable de déjouer les méfaits de la solitude et de se dépêtrer de sa vision dramatisée de la vie. Ryan Bingham est un cran au-dessus de l’épave pleine de potentiel qu’était Bad Blake, et son album un cran au-dessus de ce que Jeff Bridges a pu enregistrer et faire paraître en 2011 en compagnie du même T-Bone Burnett. Il est plus jeune que Blake ; et si sa vision du monde est presque aussi décrépite, il a trouvé une manière d’inventer une galerie de personnages sans fortune à côté desquels il ne peut se permettre de s’aligner sans jouer la surenchère. Il est donc un peu forcé de se montrer simple, direct, avenant. En revanche, rien ne l’obligeait à devenir aussi minimal, dénudé sur son troisième album, d’autant plus que Junky Star le crédite accompagné des Dead Horses, un trio à l’apparence poussiéreuse mais subtil : chaque accord, chaque coup de grosse caisse résonne dans le désert habillé d’émotions en lambeaux de Bingham. Tout autre choix de production aurait peut-être été fatal, même s’il ne faut pas opposer, comme le font certains, l’idée que Bingham aurait pu vendre son âme au croisement pour devenir une star de crossover country-pop et la voie qu’il a réellement choisie. La country-pop a ses lettres de noblesse et sans une touche de pop l’americana serait définitivement perdue pour le grand public ! Nous enlevant même les ornements pourtant peut nombreux de Mescalito (2007) et Roadhouse Sun (2009), tels l’accordéon et la mandoline, Bingham capitalise avec l’accord de Burnett sur l’instrument le plus personnel de son attirail : sa voix, de buveur de whisky certes, mais aussi plaintive et hypnotique. Un harmonica providentiel embellit aussi plusieurs chansons.

L’effet Junky Star ne frappe pas d’un coup ; il faut prendre le temps d’écouter et de réécouter cette collection de (longues) chansons, une heure en tout si l’on considère The Weary Kind, placée en bonus à la fin. Le nom de cette chanson, comme l’image de la pochette, représentant un avion rouillé et sans ailes, respirent la lassitude ; néanmoins la poésie de Bingham est parfois presque caricaturale mais élégante et solide. C’est avec des chansons de ce type qu’il a faille voler la vedette au concert du Farm Aid en 2011, et en n’en jouant que 3, encore. Non, Bingham a travaillé dur et beaucoup tourné, mais pas de lassitude : plutôt la volonté assumée de produire un album plus sombre qu’à l’accoutumée, autant emprunt de fragilité et de fatigue que d’un appétit pour le meurtre comme stratagème pour se sentir vivre. The Poet, aux sonorités riches et profondes, annonce qu’il va s’agir d’un disque dont la violence sourd parfois plus qu’elle ne s’affiche. Bingham s’y présente comme le rodeur, l’observateur qui laisse le sang des autres écrire l’histoire. "As I keep walking, people keep talking/About things they've never seen or done/Homeless sleep in the park, lovers kiss in the dark/Me, myself I keep moving on through town...the poet in the back writes down his songs in blood." Quelque part entre les ignorants et ceux qui se sacrifient dans un geste dramatique pour sauver leur honneur ou l’humanité, Bingham est le troubadour qui chuchote aux éléments et aux lieux – le désert, le vent, la lune, le soleil, les étoiles - et reçoit son quotient d’histoires en retour. Bingham est un féru de la beat génération, positionné en retrait comme Jack Kerouac plutôt que fantasque comme le compagnon de route de Kerouac, Neal Cassady. Des touches de fatigue suggèrent qu’il ait pu lire Walt Whitman, un poète humaniste américain du XIXème. The Wandering, The Hard Worn Trail : piégés entre deux mondes, on se demande toujours si les personnages vont être soulagés de leurs douleurs à la fin. Ce n’est finalement pas le cas. Dans All Chocked Up Again, la coda country de l’album : « I close my eyes and I wanna start runnin'/But my legs are broken and tied/Everything around me starts spinnin'/And I realize I'm buried alive”.

L'empreinte d'un renouveau à la Bob Dylan - c'est à dire ce qu'il a accompli avec Love and Teft (2001), puis Modern Times (2006), Together Throught Life (2009), ou encore Tempest (2012) – cette façon de faire du neuf avec des ballades country-rock-blues du temps du DustBowl, est très présente sur cet album aux thèmes rudes. L'harmonica, et surtout le sens rythmique de Direction of The Wind - si ce n'est son titre faisant allusion à Blowing in the Wind - évoquent quelque chose comme Tweedle Dee & Tweedle Dum. C'est ce que Bingham écoutait sur le jukebox du Halfway Bar, un Motel que son oncle possédait. Dylan, Marshall Tucker, Bob Wills : il en tire une certaine authenticité. L’authenticité arrive en musique, l’intégrité vient avec les mots : “I’d rather lay down in a pine box/than to sell my heart to a fuckin’ wasteland” sur Depression.

mercredi 5 septembre 2012

Todd Snider - Agnostic Hymns and Other Stoner Fables (2012)





Parution : mars 2012
Label : Aimless Records
Genre : Americana
A écouter : New York Banker, In Between Jobs, Brenda

OO
Qualités : engagé


En quelques albums, Todd Snider s’est taillé une réputation d’élément perturbateur de la musique blues-folk. Il prêche plutôt en terrain converti pourtant. En effet, dès lors qu’on parle de musique folk, ou de musique blues, les personnes susceptibles de s’intéresser à un tel disque sont déjà des gens aux idées de gauche, sensibles aux artistes et à leurs poignantes batailles sociales, attentifs aux injustices qu’ils peuvent ressentir, même s’ils (les artistes) ne les subissent pas eux-mêmes, appréciateurs de leur absence de cynisme doublée d’un humour noir qui peut être féroce ou plus doux (pour ce qui est de l’humour, ces artistes ont pris les devants sur tout le monde en prévoyant que la campagne devienne vraiment pénible et agressive). Le fait qu’un trublion tel que Snider soit signé sur une major et vende des disques est une bonne nouvelle. J’ai aussi une pensée pour Ry Cooder, et côté public, à tous ceux qui se préparent à voter, en pensée, lors des prochaines élections américaines. Ry Cooder ne va pas sauver l’arctique, mais ses attaques contre le parti républicain, déguisées en chansons enthousiastes, font mouche à chaque fois, et c’est un des meilleurs guitaristes au monde (voir Election Special, 2012).

Todd Snider n’est pas mauvais non plus : guitare électrique, acoustique, harmonica, et un bagout d’enfer. Il a enregistré un album qui commence par un monologue incendiaire contre la religion organisée et son rôle historique dans l’inégalité des classes sociales américaines (avant qu’un refrain mélodique ne prenne le relais : « Who you gonna trust /If you can’t trust me » ; et qui se termine dans une certaine sensualité instrumentale. Dans l’entre-temps, la violoniste Amanda Shire a fait des merveilles sur 10 chansons à la fois brutes et séduisantes, envahies d’urgence salutaire autant que caressantes. Shire chante aussi derrière Snider, participant de ce sentiment à la fois nonchalant, enthousiaste, puissant, habile qui fait de l’album une réussite particulière. La présence d’un groupe est chose nouvelle pour le songwriter ; un jour, en voyant Jerry Jeff Walker (auquel il a récemment consacré un disque de reprises) dans un bar du Texas, il imagina qu’il pourrait se passer de musiciens et se débrouiller seul. Revenu à Memphis depuis quelques longtemps, il a changé d’avis pour Agnostic Hymns & Other Stoner Fables.

In The Beginning est donc un sermon parfaitement ajusté, sur le thème de : “And ain't it a son of a bitch/To think that we would still need religion/To keep the poor from killin' the rich." Non, Todd, la vraie honte est de ne pas avoir inclus les paroles de tes chansons dans le livret de ton disque. New York Banker aligne les « Good things happens to bad people » sur un refrain facile à reprendre, et dans une tonalité approximative. C’est une chanson anti-Goldman Sachs qui n’a pas besoin de sous-titres ; les 2 chansons suivantes sont moins immédiates, mais ont fait couler autant d’encre. Sa façon de s’adresser à la plus jeune génération sur Precious Little Miracles, chanson aussi frappante que dépouillée, est sans détour. “ So your school is a joke, and you’ll always be poor/And your pleas to the rich have been heard and ignored/Is that what all you crazy kids are so upset for?” assène t-il d’un ton paternaliste autant que grinçant. Après une chanson en forme d’intermède sur le thème de: ‘cette fois–ci c’est vraiment la dernière fois que tu me brises le cœur’, Snider revient au fantasme de vengeance non-violente avec In Between Jobs, blues chaotique au message finalement assez positif : “We’ve gotta try and find some kind of way to cope/ It ain’t the despair that gets you/ It’s the hope.”

Brenda rappelle l’ambiance de l’album de Ry Cooder, Chavez Ravine (2005) ; une chanson généreuse et plus apaisée, faisat hommage à des lieux et à des gens, et débattant du ‘véritable amour’ ; Mick Jagger et Keith Richards y sont cités. Too Soon To Tell a un coté plus dramatique (“"I wish I could show you how you hurt me in a way that wouldn't hurt you too." “), et évoque quand à elle l’album The King of in Between de Garland Jeffreys, avec son intransigeance en embuscade : “They say that living well is the best revenge/ I say bullshit, revenge is the best revenge,” Digger Dave’s Crazy Woman Blues et Big Finish sont aussi prometeurs que le laisse présager leurs titres – la première des deux sonnant vraiment, avec un tel patronyme, comme un mélange Grinderman/country blues. Snider est assez soucieux du détail pour nous tenir en haleine jusqu’au bout. “Some people won’t take no for an answer/ Hell, some people won’t take yes for an answer.”

On a autant de plaisir à commenter Todd Snider et ses disques que ses influences Randy Newman ou Garland Jeffreys. Il a beaucoup changé depuis ses premiers albums inspirés par John Prine, est devenu après The Devil You Know (2006) plus féroce, sardonique, dans le but d’éveiller les consciences. Là ou The Excitement Plan, son précédent disque avait déjà mis les pied dans le plat politique, Agnostic Hymns est un mélange de recul, de déception, d’agressivité, d’humour à l’emporte-pièce qui ne peut venir que d’un homme qui se sentant profondément bafoué, démoralisé par moment devant l’état du monde, mais dont le souhait est de toujours se donner une nouvelle chance de repartir sur de bonnes bases. Cet album révèle tout le talent de Snider non seulement pour le pamphlet, mais comme raconteur d’histoires, de relations, comme puits inattendu d’affection et de dérision mêlées. Snider a le don de transformer l’injustice du monde en arme pour avancer.
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