“…you can hear whatever you want to hear in it, in a way that’s personal to you.”

James Vincent MCMORROW

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vendredi 7 décembre 2012

Shovels and Rope - un article à propos de O' Be Joyful (2012)




Parution : juillet 2012
Label : Dualtone Music
Genre : Americana, Country rock
A écouter : Birmingham, Carnival, Cavalier

Qualités : entraînant, vintage, féminin, rugueux
OO

« Nous étions déjà mariés longtemps avant de décider de marier nos projets musicaux. Et cette dernière décision a demandé plus d’engagement que celle de passer le reste de notre vie ensemble. »


Une des nombreuses utopies que réalise la bonne musique, c’est celle de l’amour complice, celui qui n’exclut pas la camaraderie, celui d’un jeune couple marié qui puisse enregistrer main dans la main un album entier de musique trépidante, fraîche, audacieuse. Et abandonner (temporairement?) les carrières qui leur étaient promises à chacun...
 
Charleston Sud
 
LES DEUX AMÉRICAINS de Shovels and Rope sont différents de l’habituel duo, où les rôles sont bien définis et protégés. Ils attaquent leurs mélodies robustes et puissantes, leurs arrangements rustiques avec une force simultanée et égale. O’Be Joyful représente plus qu’un engagement artistique ; on a l’impression que Cary Ann Hearst et Michael Trent y apprennent, au-dessus de toute chose, ce que c’est qu’être une famille : trouver l’indépendance après que les règles soient posées ensemble, faire aller de pair solidarité et vision propre de leur destin pour les mois à venir – en concert et sur la route. A travers l’écriture de chansons, ils ont la chance d’avoir un travail qui n’exclut pas l’autobiographie, qui les incite à prendre le temps d’une réflexion quant à leur mariage et à leurs voyages. Shovels and Rope, c’est ce qu’on appelle parfois une relation sérieuse, celle que certains d’entre nous recherchent sincèrement. «Nous étions déjà mariés longtemps avant de décider de marier nos projets musicaux,» commente Hearst. «Et cette dernière décision a demandé plus d’engagement que celle qui nous a décidés à passer le reste de notre vie ensemble ».
 
L’intensité et la qualité de leur écriture est évidente, et cela bien avant qu’ils ne commencent à faire cause commune. «Je jure que j’ai une bonne idée de chanson par jour», s’amuse Trent. «Mais si je n’attrape pas un stylo pour la noter aussitôt, en dix secondes elle s’est évanouie pour toujours.» Plus important que l’origine ou la quantité de leurs idées, c’est dans le regard de l’autre que se précise le duo. « Cary a grandi dans la tradition country, c’est une chanteuse de country fantastique. Mais son cœur est voué au rock n’ roll. Elle adore les Stooges. » Hearst, à son tour : « Michael va se pointer avec 20 idées. Puis il va leur donner corps, trois par trois – il aime travailler par lots de trois. Il va créer une belle mélodie, et de temps à autre je vais l’entendre jouer ces nouvelles idées pendant les balances des concerts. Je regarde souvent par-dessus son épaule pour voir s’il n’est pas en train d’écrire. Il peut y avoir une concurrence entre nous! »
 
Décor d’un roman de Pat Conroy, Charleston Sud, Charleston est une ville côtière superbe de Caroline du Sud, ensoleillée et verdoyante, avec de belles maisons blanches et des palmiers, un port de plaisance réputé, la destination de vacances idéale, la carte postale. Hearst aura ce commentaire en 2008 : «Je vivais à Nashville [une capitale américaine de la musique country] jusqu’à l’âge de 18 ans ; puis j’ai déménagé à Charleston et je n’ai pas bougé depuis lors. C’est une ville isolée, dans un sens, possédant une communauté autonome au sein de laquelle de nombreux groupes qui choisissent une approche indépendante s’en sortent bien. Toutes sortes de musique sont jouées ici. Je vivrais à Nashville si je pouvais me le permettre, mais je ne me vois pas à la fois enregistrer, et être obligée de travailler comme serveuse ou autre pour gagner un peu d’argent. À de nombreux points de vue, Charleston est bien plus détachée que de plus larges communautés, nous avons plus de recul sur ce que nous faisons. La plupart de mes amis à Nashville ne gagnent pas du tout d’argent, tandis que nous nous faisons au moins 100 dollars par nuit ici. »
 
Inverser les rôles
 
CARY ANN HEARST S’EST FAITE connaître pour son univers sombre et décalé et sa voix puissante, comparable à celle de Loretta Lynn, au sein de son groupe Cary Ann and the Gun Street Girls. «J’étais pourtant la seule femme. Il y avait cette chanson de Tom Waits, Gun Street Girl, et un jour que je conduisais, je l’ai entendue et je l’ai trouvée différente. Elle m’a rappellée les New York Dolls (un groupe masculin habillés en femmes). Les mecs dans le groupe se sont bien marrés. L’ironie qu’il y avait là dedans confondait les gens ou les amusait.» Les Guns Street Girls étaient entièrement son groupe, elle pouvait se permettre d’exprimenter avec leur identité.
 
Cary Ann parle vite, est exhubérante. Ce n’est pas June Carter, mais plutôt Poison Ivy des Cramps. « C’est le groupe de rock n’ roll le plus sexy de tous les temps », s’enthousiasme t-elle à leur sujet. « J’aimais qu’on ne puisse pas être sûr de qui était le mec et qui était la fille. » Le groupe, dissous à la mort du chanteur Lux Interior en 2009, avait influencé la scène anglaise par leur mélange de trois genres distincts : rockabilly, punk garage et psychédélisme. Un melting-pot sonore de contre-culture américaine, et une identité visuelle, tirée des films d’horreur, qui a, elle aussi, fortement inspiré Hearst. Il suffit de voir la vidéo extraite de son EP Are You Ready To Die (2010), Hell Bells.
 
Avant Shovels and Rope, Michael Trent était sans doute encore plus engagé que sa compagne, et il n’a pas été si facile de mettre de côté une carrière prometteuse avec son propre groupe, The Films, de côté. Surtout lorsque votre femme se considère comme votre fan numéro 1, faisant de vous un cow-boy glamour et vous comparant aux Kinks et à Elvis Costello. Pourquoi travailler ensemble dans ce cas ? « Tant d’années de la vie de Michael ont été passés sur la route, à se gribouiller son propre avenir», commente Cary Ann. «Tant d’années de la mienne ont été employées à essayer de me distinguer dans cette mer de musiciennes rousses, et ça a été quelque chose de mettre de côté nos individualités alors que nous étions presque parvenus... Nous venions d’enregistrer de très bons albums. Je n’ai pas honte de dire que ces disques sont suffisamment bons pour nous permettre d’avoir une carrière chacun de notre côté avec notre propre groupe. »
 
Michael Trent commente à son tour : «Nous avions sorti ces albums, mais sans avoir de plan particulier. Nous allions faire un concert, interpréter quelques-unes des chansons de Cary et quelques-unes des miennes, apprenant à les jouer du point de vue d’un duo. C’est de ce point de vue ques les choses ont soudain pris une autre dimension intéressante, et on a commencé à nous contacter pour faire des dates ensemble (en première parte des fleurons américana les Felice Brothers ou Hayes Carll), nous avons eut beaucoup d’opportunités d’un seul coup. »
 
Ralentir le tempo
 
Trent lance alors un regard en arrière, sur la carrière qui l’attendait. Il écrivait des chansons punk-rock pour son premier groupe et aura cette idée que « si vous en ralentissez le tempo, elles deviennent des chansons country. » «Peut-être est-ce là qu’est mon évolution en termes de songwriting. Parfois cela me rend nostalgique. J’oublie presque que j’ai écrites toutes ces chansons. De temps à autre, un fan des Films va se montrer dans un concert de Shovels and Rope et demander à ce qu’on joue un morceau de [l’album] Oh Scorpio. »
 
Si vous voulez faire plaisir à Cary Ann Hearst, parlez-lui de X : le duo angelinois constitué de John Doe et Exene Cervenka. Ils furent ceux qui mirent la scène punk de Los Angeles sur la carte des États-Unis, au début des années 80 : Los Angeles (1980), Wild Gift (1981), Under the Big Black Sun (1982). C’est par le mélange désinhibé de rockabillly, de blues, de country et d’harmonies vocales nouvelles qu’ils séduirent un assez large public. Non, vraiment, Hearst ne se sent pas vraiment de filliation avec June Carter, trouvant les interactions entre Doe et Cervenka autrement plus intéressantes que celles de Carter et Johnny Cash.
 
Le cultissime Elvis Costello aurait pu lui-même évoquer le processus qui consiste à ralentir le tempo du punk-rock jusqu’à obtenir une chanson country ; il s’y connaît. Son album Secret, Profane and Sugarcane (2004) peut servir de référence dans le canon des influences de Shovels and Rope. Quand celui-ci fit paraître son premier album en1977, sa colère et son cynisme établirent un lien fort avec la scène punk et new-wave de l’époque. Mais ce qui validait ce lien, c’était sa passion débridée ; il empruntait au passé du rock n’ roll ce tout ce qu’il voulait, mimant aussi bien la country, la Tin Pan Alley (musique new-yorkaise des années 20), la pop, le reggae, entre autres genres. Cet éclectisme continue de le distnguer aujourd’hui, comme le font ses textes fouillés. On parle d’influence tutélaire, une influence diffuse. Pour d’autres, ce serait Bob Dylan ; pour Shovels and Rope, c’est Costello. Pour qu’il s’agisse d’un duo, il suffit de compléter Costello avec Lucinda Williams, qui est la reine de l’américana rugueux, autentique, conflictuel et tourmenté depuis vingt-cinq ans, avec d’abord Lucinda Williams (1988) ou Cars Wheels on a Gravel Road (1998) [voir encadré page suivante]. Hearst et Trent ont aussi aimé le duo que constituaient deux autres légendes de la musique américaine, Gram Parsons et Emmylou Harris.
 
Difficile d’accorder deux fortes personnalités musicales et de les faire écrire sur la même page. Sans doute qu’assurer 200 concerts ensemble en une année a participé à l’équilibre de l’album, entre ecxentricité et tradition, entre brutalité et douceur. Au coeur de leur son, un kit de batterie qu’ils ont arrangé eux-mêmes et que Michael Trent a appris à jouer, d’une façon qui n’est pas sans rappeler celle de Meg White. D’ailleurs, les White Stripes pourraient être l’ultime point de référence à lâcher avant de laisser définitivement Shovels and Rope tracer leur route - et avant de décrire tout ce que leurs deux écritures contiennent de vie et d’originalité.
 
Mais encore : l’album que Jack White a produit avec Loretta Lynn, Van Lear Rose (2004), vient aussi à l’esprit ; la production de cet album country-rock y est organique.Cary Ann Hearst a plus d’un point commun avec Lynn : outre la voix, elles se ressemblent assez physiquement...
 
Pour l’anecdote, en 2012, le magazine anglais Mojo a laissé à Jack White la première place de son top des 50 albums de l’année - car nous sommes désormais dans un monde post-White Stripes. Le site web/magazine américain American Songwriter, de son côté, a laissé à Shovel and Rope la troisième place de leur propre top 50 de 2012, donnant même à Birmingham le titre de meilleure chanson de l’année.
 
Vie bohémienne
 
BIRMINGHAM, PREMIÈRE CHANSON de l’album, évoque, sans sentimentalité mais avec un humour tendre, la naissance du duo. Raconter des histoires, c’est là ce qui noue Shovels and Rope. “Comme il s’agit de chansons, nous faisons tout pour devenir de meilleurs raconteurs et de meilleurs auteurs de chansons, de façon générale. Je pense que là d’où nous venons, c’est la chose la plus importante.”
 
O’ Be Joyful est un album accompli, contenant les meilleurs exemples d’écriture propre à ses deux auteurs. Les contributions de Trent sont souvent lyriques, poétiques et parfois sombres. Il dit aimer les auteurs de chansons qui utilisent des personnages et des perspectives distinctes de leur propre existence. D’autre part, Hearst joue sur la corde du conteur populaire, usant de phrases entêtantes et des bons mots. “Tell New York, tell Tennessee/ Come to Carolina and ya’ drinks on me,” chante-t-elle sur le old-timey Kemba’s Got The Cabbage Moth Blues, inspiré par les enregistrements qu’Alan et John Lomax ont fait de chanteurs de Johns Island, Caroline du Sud, dans les années 1920.
 
La plupart des chansons ont été écrites on the road, et semblent être une continuation de leur vie bohémienne. “Je pense que cet album, c’est ce qui arrive à des musiciens quand ils commencent à écrire à propos de leur vie sur la route et des lieux où ils sont allés”, commente Hearst. Les chansons ont une attache géographique, c’est comme un moyen de laisser des points de référence en route. “Vous vous levez dans une ville différente chaque jour. En vous réveillant le matin, vous ne savez plus du tout où vous êtes.”
 
O’ Be Joyful n’hésite pas à accomoder les chansons en faisant appel à plusieurs musiciens supplémentaires pour s’étofffer. Parmi lesquels Amanda Shires, que j’ai découverte en faisant des recherches à propos du dernier album de Todd Snider, l’excellent Agnostic Hymns and Stoner Fables (Aimless Records, 2012). Elle contribuait beaucoup au son plein de l’album, et c’est la même chose ici, sur Keeper ou This Means War. Cette chanson, placée à la fin, est l’une des ballades convaincantes et même touchantes de l’album – à ce point là, vous aurez déjà eu les mémorables Lay Low et surtout Carnival – pour laquelle il n’est plus question de cuivres bravaches (comme sur Hail Hail en particulier), ni de percussions trépidantes – c’est seulement l’écriture et la mélodie qui atteignent une qualité intouchable. La voix de Cary Ann Hearst y a des intonations étonnament profondes et originales. Sur le morceau-titre, cette voix m’évoque celle de… Candye Kane. Il y a la même énergie rockabilly et blues, auquelle on ajoute, comme souvent, un banjo.
 
This Means War fait oublier sa tourmente en se terminant par un vieil enregistrement d’une Cary Ann Hearst de trois ans et demi, disant à son grand-père qu’elle aimerait avoir un caniche pour l’habiller avec des rubans et lui appliquer du vernis à ongles...
 
“J’ai cette image de quand je serai agée, dit t-elle en 2008. De ce que nous étions dans notre jeunesse, deux voyous vivant cette vie facile à romancer.”
Les sources documentaires de cet article incluent principalement les articles publiés sur American Songwriter.com, La plupart des citations de Cary Ann Hearst proviennent de l'interview conduite par American Songwriter en 2008.







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